Violence contre les civils

Évoquer "la violence" en période de guerre est un sujet délicat, même si des historiens se sont penchés sur cette question. En temps de guerre la violence serait  à la fois légale et illégale...mais tout dépend de la guerre, des époques, du contexte. Plus que le terme "violence", on utilise  davantage les termes de "crimes de guerre" et d'atrocités" selon deux aspects : contre l'ennemi et contre les civils. 
Pour la gestion  des violences contre l'ennemi, un dossier spécifique  est consacré au problème des prisonniers de guerre.

Les Américains ont été nos libérateurs en 1944. Mais il y a aussi une face sombre au débarquement des soldats US en Normandie : certains ont commis des violences de différentes natures contre les civils : pillage, viols, meurtres.  Aujourd'hui, les historiens s'intéressent de plus en plus au sort des populations civiles dans cette période, et les exactions qui ont pu être commises par les soldats alliés ne sont plus un tabou. Si certains soldats américains ne se sont pas  comportés de façon exemplaire, l'explication la plus courante est liée à l'alcool qui était à l'origine des actes répréhensibles, en effet tout pouvait vite dégénérer... même si cela ne peut être une excuse.



Plus de peur que de violence  pour les civils à l'arrivée des GI's

Les premiers Gi's arrivés à Omaha ont des  contacts difficiles avec les locaux, assez nombreux dans les villages et les fermes, ce qui les a beaucoup surpris. En effet, ils ne comptaient pas voir de français, et donc les considéraient comme allemands, collabos, traîtres, ainsi le 6 juin, à Omaha, les réactions et contacts entre français et américains sont  souvent terribles mais on ne peut pas parler de "violence" :

-"Il a pris son révolver et il a tiré croyant que j’étais une femme allemande ; heureusement que j'étais devant ma porte de chambre et que j'ai pu faire un écart sans quoi, il me tuait !"
-Il nous a demandé de boire, mais il a fallu que nous buvions avant lui parce qu'il avait peur, et il nous a donné une savonnette et du chocolat.
-Ils ont pris mon mari et ma belle mère en otage et voulaient les fusiller ! Ma belle mère a eu le réflexe de dire à mon mari de faire voir sa carte d'identité et de dire qu'il n'était pas un espion
-Les américains nous ont pris pour des allemands, et nous ont tiré de dessus, la balle a atterri dans la cuisine.
-Quand les américains nous ont vus, il fallait sortir de l'abri se ranger un à un le long du mur du jardin, puis, on a été fouillé, puis, on nous a relâché.
-on était 30 sous un abri : il voulait nous tuer parce qu'il nous prenait pour des gens qui n'étaient pas des français.
-Ils croyaient qu'il y avait un snipper là, et ils avaient leur flingue mais c'est moi qui marchait devant, ça ne me faisait pas marrer, alors au début ça allait mais à la fin, plus on montait haut, plus c'était dangereux : ils ont ouvert la porte d'un coup de pied en mettant leur fusil sous mon bras ( moi, j'étais devant ! ) je tremblais ... je croyais que j'étais mort ... mai ils n'étaient pas là ! il n'y avait personne !

[extraits de : http://6juin.omaha.free.fr/9normandsus/93_normands.php]


Ensuite, la méfiance disparaîtra très vite et les relations devinrent très amicales, les américains généreux en cadeaux (cigarettes, chocolat, chewing-gum...), les français offrant généreusement leur calva.


Trévières, le 14 juillet 1944 : Marguerite l'nstitutrice offre à boire aux Gi's



Petits profits et  rares pillages
Dans le secteur d'Omaha, aucun témoignage n'évoque des pillages, au contraire les rapports semblent cordiaux, chacun essaie de profiter des avantages que l'autre peut lui fournir...

René M, âgé de  30ans, habite à Saint Laurent et raconte ses rapports avec les GI's:
"Un jour je passais par en bas et il y en un qui m'a appelé, il avait l'air sympa "Come in, Sir ! ". J'y suis monté, il m' a donné du savon, du soap, des conserves, du café et d'autres choses et on a sympathisé, il était gentil comme tout . Et puis un jour il m' a fait comprendre qu'il aurait désiré que ma femme lave son linge, alors j' ai parlé de ça avec ma femme, elle m' a dit " Je veux bien ! " Si bien que j'étais obligé de faire un grand "camion " avec deux roues de vélo parce qu' on avait une vingtaine de clients après !
Alors il fallait mettre des repères sur les vêtements pour connaître les propriétaires et on y allait à deux, avec le propriétaire de chez Cardine, pour trimballer tout ce linge et on rapportait tout un tas de trucs ! Ah ! C'était le bon temps ! Ca a duré peut être 2 mois. Ils nous payaient, ils avaient de l'argent ! des billets tricolores.
Et même il y avait deux "morues" qui sont arrivées...plus tard . Un jour un canadien m'a dit : "Tiens, tu viens manger à la maison !" alors il m' a donné la moitié de son repas et ils étaient choyés, ils avaient des plats avec des alvéoles pour mettre le dessert , tout ça, on a bien mangé. Et le canadien m'emmène dans des grandes tentes carrées, c'était kaki. Il n'y avait pas de lumière là dedans et j'entends "On ne peut même pas se laver le cul, là dedans ! ". C'était une morue... Pourtant c'était pas un truc à faire, oh la la ! non c'était pas le sida à ce moment là... , mais ! non merci ! ça, pas pour moi !
Et puis il y a un officier qui est arrivé à ce moment là: Il m'a viré de la dedans ! Il m' a demandé ce que je faisais là... alors l'autre lui a dit que j'étais là pour le linge et il a dit " Go, home !! " gentiment mais il l'a dit quand même.
J'ai fait travailler les prisonniers allemands qui étaient au déminage, pendant treize mois. Il y en avait des mines ! Moi je surveillais une quinzaine de prisonniers allemands à déminer dans le secteur du monument, du côté de la grande maison à droite "
Lire le témoignage intégral

Simone L a 17 ans et habite une petite ferme:
"Bon, après, çà était formidable. On a eu dans la cour, chez ma mère, tout une compagnie d'installée avec la cuisine : tous les midis, tout le monde venait manger dans la cour ; nous, on mangeait avec eux, c'était formidable !
A ce moment là, on n' avait pas de bonbons, de chocolats, pas de sucre, on n' avait rien, on était limité en tout, alors eux ils nous donnaient de tout ! on en avait ! on ne comprenait même plus ce que c'était ! des bonbons, du sucre, des petits sachets de café, enfin tout ce qu'ils pouvaient nous distribuer ! On était privé depuis si longtemps, on s'est retrouvé d'un seul coup on avait tout à manger !
Le soir, avant de se coucher, on avait une grande boîte de bonbons et on choisissait les bonbons qu'on voulait :c'était formidable!
On a rencontré beaucoup de soldats américains, beaucoup étaient vraiment des copains, vraiment ; j'ai même des photos avec eux ! De toute façon on vivait avec eux, ils étaient avec nous, ils vivaient avec nous. Ils étaient très gentils, spécialement le nom de " William Sillivan", celui là, on a un souvenir formidable.
On leur donnait du lait. Ma mère avait encore deux vaches parce que les allemands avaient miné toutes les terres, comme on avait plus de terres on avait été obligé de vendre toutes nos vaches, il nous restait ces deux vaches . Mais les américains occupaient tous les herbages, et il y avait de la boue ! et maman avait du mal à aller traire : alors un américain allait avec elle et lui portait son bidon de lait sur son épaule !
Ils étaient "chouette " avec nous ! nous, on leur lavait leur linge.
Tout ça c'était formidable !"
Lire le témoignage intégral



Par contre, après le débarquement, avec l'avancée des troupes vers l'intérieur, il a existé, inévitablement des pillages, rares mais réels de la part de tous les alliés...Le pillages sont souvent liés  aux destructions de bâtiments,  à l'abandon des maisons par le civils face aux bombardements, et on a vite le sentiment d'impunité avec son bel uniforme. Toutefois les témoignages sont rares, côté britannique un agriculteur dit "Après quatre années  à attendre d'être libérés, on ne s'attendait pas à être pillés ; même les allemands n'ont pas fait ça!" (Source le 30° corps britannique pour 24 juin).  Les réactions furent immédiates,semble-t-il, avec des ordres interdisant le pillage et  


D'exceptionnelles violences avant tout liées aux "dommages collatéraux" suite aux bombardements
Les américains craignaient aussi  d'avoir à faire  à des "collaborateurs" laissés là par les allemands, comme espion ou saboteur, voire comme sniper. Mais il s'agissait davantage d 'une rumeur que d'une réalité. Tout suspect français était livré aux services de contre espionnage pour interrogatoire (qui n'avaient rien  à voir avec les pratiques de nazis), beaucoup étaient libérés, certains renvoyés à un niveau supérieur.  Une exception apparaît pour la Manche  où  en été  20 à 30 civils auraient été fusillés par les troupes américaines (pas d'étude spécifique)
Sur Omaha, les civils ont relativement peu souffert des bombardements. Les pertes civiles sont donc très faibles: elles avoisinent 31 personnes pour l'été 1944. Le 6 juin est le plus meurtrier (1/3) mais uniquement pour l'arrière des plages, là où les bombes alliées sont tombées (Louvières, Sainte Honorine, Vierville). Mais dans  les cinq départements normands, ce sont 20.000 français qui ont été tués, victimes de bombardements au nom d'une nécessité militaire inébranlable. Tuer des civils  est acceptable dés lors que le succès est au bout et permet moins de pertes militaires,ce que les anglais, comme Montgomery remet en cause.(voir notre dossier sur les bombardements)




Viols

Contexte
La libération de la Normandie en juin et la seconde phase dans le sud en août, ont mobilisé près de trois millions de soldats qui débarquent en France en 1944.
Même en 1946, il y a encore environ 1,5 million d'hommes de troupe en Europe, de plus, selon le commandement américain, à l’automne 1944, près de 10 000 GI déserteurs se trouvent sur le territoire.

En 1945, le magazine Life présent la France comme « un gigantesque bordel dans lequel vivent 40 millions d'hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l'amour ». Les Françaises ont la réputation d’être sans préjugés raciaux et sexuellement libérées. Les GI noirs sont persuadés par les récits de leurs aînés qui ont séjourné en France pendant la Première Guerre mondiale que les Françaises n’ont aucune réticence à faire l’amour avec des Noirs.


La population et les viols

À la fin de l'été 1944, des femmes  normandes se plaignent de viols commis par des soldats américains. Des centaines de cas sont rapportés. Sont également signalés des viols et des crimes dans plusieurs villes où les GI's sont stationnés comme à Reims, Cherbourg, Brest, Le Havre, Caen.

En 1945, après la fin de la guerre en Europe, Le Havre est rempli de soldats américains en attente d'être rapatriés dans leurs pays. Des habitants écrivent au maire que certaines femmes ont été « attaquées, violées » et qu'il s'agit « d'un régime de terreur imposé par des bandits en uniforme ». Un propriétaire de café du Havre témoigne : « Nous nous attendions à des amis qui ne nous feraient pas honte de notre défaite, au lieu de cela, il y eut seulement l'incompréhension, les mauvaises manières et l'arrogance des conquérants ». Un tel comportement est aussi constaté à Cherbourg. Un résident déclare qu'« avec les Allemands, les hommes devaient se camoufler. Mais avec les Américains, nous avons dû cacher les femmes ».

Des explications


L'historienne américaine Mary Louise Roberts ("What soldiers do: Sex and the American GI in World War II", publié en juin 2013. Traduit en français Ed Seuil) explique également l'importance des viols par le refus des autorités américaines  d'adopter un système de prostitution réglementée et d'ouvrir des lieux pour la prostitution inspectés par les autorités sanitaires, ceci
 par crainte que l'information ne s'ébruite dans le public américain et n'entame l'image des soldats... Pour l'historienne,  l'attitude des soldats américains  s'explique en grande partie par l'image de la France que l'armée américaine avait choisi de donner à ses soldats à travers des documents de propagande : "En s'appuyant sur des archives françaises et américaines, l'historienne a fait un constat étonnant : la campagne militaire européenne n'avait pas été présentée aux jeunes recrues comme une bataille pour la liberté mais bien... comme " une aventure érotique dans un pays peuplé de femmes insatiables ", selon une formule du "New York Times" qui a consacré un article à l'ouvrage.



Statistiques


Selon l'historien américain Robert Lilly, il y aurait eu 3 500 viols commis par des soldats américains en France entre juin 1944 et la fin de la guerre. Le nombre de viols est difficile à établir car de nombreuses victimes de viol n'ont jamais rapporté les faits auprès de la police.


En Normandie

Les troupes américaines engagées ont commis 208 viols et une trentaine de meurtres dans le département de la Manche. Pour le seul mois de juin 1944, en Normandie, 175 soldats américains sont accusés de viol.

Il existe en Normandie des tombes de jeunes filles qui portent l'inscription « Tuée par les Noirs », et au moins une tombe du mari d'une femme violée avec l'inscription « Tué par les Noirs », celle de Louis Guérin, à Quibou.


Condamnations


Du fait du nombre important de cas de viols recensés et de la dégradation de l'image des soldats américains en France, le commandement américain juge (entre le 14 juin 1944 et le 19 juin 1945) 68 cas de viol ordinaire concernant 75 victimes. Au moins 50 % des soldats-violeurs sont ivres au moment de leur crime. Sur les 152 accusés, 139 sont des Noirs, alors qu'ils ne forment que 10 % des troupes sur le théâtre européen.

Des 116 soldats qui passent en cour martiale en France pour viol, 67 sont condamnés à des peines d’emprisonnement à perpétuité. Au sein de ce groupe, 81 % sont noirs et 19 % blancs.

En tout, 49 soldats sont condamnés à la peine de mort pour viol, mais plus de la moitié voient leur peine réduite à l’emprisonnement à perpétuité. Les tribunaux militaires condamnent les soldats afro-américains à des peines plus sévères que les soldats américains blancs. Certains militaires coupables sont exécutés, comme dans l'affaire Clarence Whitfield, condamné à mort par pendaison le 20 juin 1944 à Canisy par la cour martiale. L'armée américaine exécute ainsi 29 soldats pour viol dont 25 Afro-Américains, et les autorités militaires américaines invitent les victimes à assister à la pendaison des coupables.



Une armée ségrégationniste

L'US Army qui débarque en France est une armée ségrégationniste. Les Noirs ne peuvent pas occuper des positions de combat. Ils sont cantonnés aux services, à l'approvisionnement dans les bases de Cherbourg, du Havre, de Caen. Ils ont donc davantage de contacts avec la population civile. Si l'on compare le nombre de viols commis par des militaires américains au Royaume-Uni avant le débarquement, et en France après le débarquement, les statistiques sont sans commune mesure, et mettent en évidence un problème spécifique. Du fait des combats et du mouvement constant des armées, l’encadrement des troupes noires en France était moins efficace et moins étroit qu’en Angleterre où, malgré les obstacles, il leur était malgré tout possible d’établir des relations sentimentales durables. En France, la brutalisation engendrée par l’expérience même de la guerre, l’abondance de boissons fortement alcoolisées et le port d’armes de combat contribuent à faire des femmes françaises des proies relativement vulnérables aux agressions sexuelles.

Si « les tribunaux militaires américains ont eu une fâcheuse tendance à sévir surtout contre les soldats noirs et à traiter avec beaucoup plus de légèreté les mêmes faits quand ils étaient imputés à des soldats blancs », il est communément admis que certains soldats ont exprimé avec violence leur frustration, alors que la rumeur leur a promis une prostitution légale généralisée et que « les femmes françaises ont la réputation injustifiée de céder facilement aux avances des vainqueurs ».


Viols : Source essentielle Wikipédia