Cacher les morts ?

Les pertes sont nombreuses, surtout à Omaha mais aussi ensuite lors de la bataille de Normandie. Les familles redoutent de recevoir ce télégramme : 

Comment les États Unis vont-ils prendre en charge les corps des soldats? Comment s'organisent les sépultures ? 


L'organisation américaine


Les sépultures militaires de soldats sont très récentes, autrefois elles étaient réservées aux chefs et héros. Les premières sépultures de simples soldats (souvent des ossuaires) ont débuté avec la Guerre du Mexique (1847/50) et la guerre de sécession (1861) aux USA. Pour la France avec la guerre de Crimée (1856) et avec la guerre de 1870, c'est ainsi que se généralise la tombe individuelle pour les soldats.
Divers organismes sont donccréés :
-pour gérer les cimetières :"Americain Battle Monuments Commission" ABMC (1923) qui entretient les 24 cimetières américains (dont 11 en France) soit 8 pour la première guerre mondiale et 14 pour la seconde guerre mondiale , s'ajoutent deux autres (Mexique Corozal)
-pour gérer l'enregistrement des morts au combat et leurs sépultures. En 1917 : création d'un 3Service d'enregistrement des sépultures" qui devient en 1943 l' AGRS "American Graves Registration Service" dont le rôle en temps de guerre est la collecte, l'identification, l'enterrement des soldats.


L'armée doit s'organiser en prévision des morts. En 1944, l'unité de base est la compagnie de 137 hommes avec 13 camions et 10 remorques, attachée aux divisions (1 compagnie par corps d'armée). Elle comprend 6 officiers et 12 médecins (identification et cause de la mort) et 119 hommes (structurés en peloton et section) avec des spécialités : messes, administratif, corps piégés... ll faudra aussi faire appel aux civils et prisonniers. En 1944, très vite, par insuffisance d'hommes, on passe à une compagnie de 160 hommes. En fin de guerre, l'effectif est de 22792 hommes dont 3189 militaires et 19603 civils avec 5895 véhicules.


Comment identifier les corps ?

Tous les individus morts (même allemands) sont pris en charge. Les unités de combats évacuent leurs morts vers un point de collecte en attente de la prise en charge par l' AGRS (du 6 au 9 juin). Ainsi à Omaha, le 18° Rgt de la 1° DI comprend 18 hommes chargés de collecter les morts (5 par bataillon de 700 à 800 hommes).
Ils se font vite aider par les prisonniers et les civils pour collecter les corps et effets personnels. Les effets personnels des allemands peuvent être donnés à des français, par contre tous les effets personnels des GI's morts sont envoyés dans des dépôts pour être nettoyés et désinfectés, d'abord une fromagerie à Isigny avec 350000 paquets... puis comme le bâtiment se révèle vite trop petit, on les envoie ensuite à Cherbourg puis enfin à Paris. Tous ces effets sont inventoriés, classés avec la possibilité d'une récupération par la famille.

L'identification des corps est facilitée grâce aux plaques de matricule nommées "DOG TAG" ( 2 portées en permanence) avec gravés : Nom, N° matricule, religion, groupe sanguin, (et après mars 44, nom d'un proche à prévenir ) si les deux dog tags sont récupérés l'un va avec les effets personnels, l'autre reste sur soldat.
En cas d'absence de Dog tag, on fait une recherche des objets personnels qui sont photographiés (en principe les soldats devaient y inscrire leur nom et matricule...) et dans le matériel proche du corps (char...) ensuite on recherche des témoignages...Les inconnus sont appelés UNKNOWN X-1 ... X-2
Un rapport d'enterrement est réalisé, parfois avec empreintes digitales et dentaires mis dans une capsule d'identification (bocal/tube verre de 2,5 cm de D et 20 cm de long) enterré avec corps à 30 cm du sol


L'urgence des cimetières provisoires


A l'origine l'Etat major avait prévu la construction de deux cimetières provisoires sur la tête de pont prévue, en limite de l'espace qui aurait du être libéré le soir du 6 juin,  à Sainte Honorine et Criqueville, donc des sites  à l'écart mais non disponibles après le débarquement, or les morts sont nombreux (2000 d'après les recherches de J Balkoski)

A partir du 7 juin les services spécialisés ("606° QM Graves Registration Unit") ont commencé à rassembler des centaines de corps. Les hommes des "Beach group" chargés de ramasser les cadavres se trouvent vite confrontés à plusieurs difficultés : l'abondance de corps sur la plage et sur la tête de pont ; la difficulté de travailler sous les tirs ennemis ; le manque d'hommes pour ce travail car les "engineers" sont très occupés à ouvrir les sorties de plage et à déminer le secteur.

Aussi le soir du 6 juin, en urgence, sur Easy Red (Ruquet), le génie (299° bataillon) reçoit l' ordre de nettoyer la plage des corps et creuse avec un bull une tranchée et y entasse les corps « comme du bois empilé » recouverts de sable. C'est une fosse commune temporaire créée par urgence ! |
[=> en fait, un seul témoin évoque cette fosse commune provisoire, donc absence de sources officielles pour cette version]

Le lendemain 7 juin, un premier cimetière provisoire fut créé, au pied de la falaise entre Vierville et St Laurent (Dog White), en principe ces cimetières provisoires situés dans une zone de combat doivent être discrets et établi selon un plan standard fourni (alignement, rangées, espaces...). On doit utiliser des couvertures pour les premiers enterrements, si on en manque, on utilise des parachutes. Avec l' arrivée de renforts, des sacs spéciaux sont utilisés, puis arrivent les cercueils : il a fallu déterrer les corps pour les mettre dans ces cercueils.

Le 3°peloton de la 6 compagnie de la 6° brigade du génie crée des tranchées pour ce cimetière provisoire qui représente 1° cimetière organisé par AGRS. Ensuite des prisonniers de guerre et des soldats noirs américains se mettent au travail pour créer des tombes, des cérémonies s'y déroulent. Aujourd'hui, une stèle indique la localisation de ce cimetière provisoire sur la route côtière entre Vierville et St Laurent.


Le 10 juin, on ferme ce cimetière nommé (à tort) "Cimetière américain  2 ou Saint Laurent 2" qui comprend 458 soldats américains et quelques allemands et anglais, le lendemain 
dimanche 11 juin une messe y est célébrée. 




Cette fermeture s'explique par les problèmes rencontrés (odeurs, présence de mouches) et aussi cette désastreuse vue sur un cimetière  pour les nouveaux soldats qui débarquent, aussi, est-il décidé de créer un nouveau site sur le plateau à l'est de E1 Ruquet (en fait, il jouxte à l 'Ouest le site actuel et  on y accède par le Ruquet).

La construction du cimetière (provisoire) N° 1 sur la falaise entre Le Ruquet et Colleville, se fait progressivement  en 3 mois. C'est un cimetière simple où les morts  sont enterrés en ligne ; une croix indique le nom du soldat et la date de sa mort. Progressivement il se remplit.
-Le  15 Juin : 775 corps alliés et  200 allemands
-Les 458 corps du cimetière de  Saint Laurent 2 sont transférés sur le nouveau cimetière (fin le 20 juin ou 12 juillet selon les sources). Le terrain retrouve  son aspect "normal" par la suite. 

-Le 26 juin : il comprend 2164 corps,  1510 américains, 48 alliés et 606 allemands y sont enterrés. Les travaux sont réalisés, en partie, par des prisonniers de guerre venant du camp établi au Ruquet.
-mi-juillet: 3797 soldats y sont enterrés.

Les enterrements sont ensuite clos. Plus tard un cimetière définitif sera créé.
(voir détails)

Les américains, pourtant bien organisés ont été débordés après le 6  juin pour enterrer leurs morts. Ils ne pouvaient décemment laisser un cimetière  à la vue des GI'S qui débarquent en flots continus sur Omaha. Ils ont rapidement réagi pour inhumer dignement leurs morts.
Il faut noter le grand respect des corps  lors de l'établissement du cimetière provisoire, chaque inhumation est précédée de rites classiques d'enterrement d'un militaire avec une cérémonie solennelle, ce qui sera répété  pour le cimetière définitif.
Aujourd'hui le cimetière américain de Colleville est devenu un des sites les plus visités de Normandie. Voir le dossier consacré aux "sites mythiques"

Sources
http://6juin.omaha.free.fr/10cim/111_histoire.php

Ouvrages de référence
C Lebastard "Le cimetière américain de Colleville" (Orep)

A Deshays "Combattre et mourir en Normandie" (Orep)