- Typologie
- Il existe quantité de types de témoignages, selon:
-La forme: texte brut ou retravaillé, rédigé (par qui ?) ou de l'oral enregistré/filmé/réécrit par qui ? comment ?. S'il existe une publication, sous quelle forme: livre, site web, TV, radio, presse, autre média ?
-Le but : personnel ou familial, en vue d'une diffusion (quel média, livre, web...)
-L'espace temporel : spontané au moment de l'évènement ou, plus ou moins tardif (combien d'années écoulées ?)
-Le contenu : vécu personnellement ou évènements rapportés (de qui ?)
- Il faut aussi évaluer le témoignage:
-Influence du questionneur et des questions
-Personnalité du témoin : évaluer sa situation (âge, famille, métier...), son vécu, opinion et culture (politique, religieux...) afin d'en déterminer une éventuelle influence ou son objectivité
-Mesurer l'impact du ressenti : sentiments, émotion, peur
- Ou trouve-t-on ces témoignages ?
-isolés dans un livre d 'histoire afin d'illustrer une situation ou argumenter un fait : "J Balkoski, Omaha" ou l'auteur, historien, explicite avec détails son minutieux choix de témoignages (voir ci-dessous)
-autobiographie rédigée par le témoin (Témoin sur Omaha par Harold Baugarten ou Comment j'ai survécu en première vague à trois débarquements par Harley Reynolds) réalistes et impressionnants mais ressenti et émotion du témoin sont omniprésents.
-autobiographie rédigé par un tiers (Bernard Dargols, un GI français à Omaha par sa petite fille, C Jolivet). Ce travail a deux apporte un recul intéressant.
-ouvrage recensant exclusivement des témoignages (Ils étaient à Omaha Beach de Laurent Lefebvre). Une accumulation de témoignages intéressants mais sans tri, ni vérifications
- Fiabilité
- Qui rapporte le témoignage ?
Quand la Presse ne recule devant rien :
ici le témoin avait 4 ans au débarquement ! (OF du 6/04/2019)
- Quelle fiabilité et quelle objectivité ?
Quelle mémoire faut-il utiliser, privilégier ? la "mémoire orale" des témoins ou la mémoire entreposée dans les "archives", autrement dit, les expériences quotidiennes plutôt que les événements d'importance historique, le destin des individus ou celui des collectivités ? C'est un débat qu'entretiennent avec passion les historiens. La mémoire est vulnérable : on se souvient avant tout du bien que l'on a fait et du mal que l'on a subi. Les événements désagréables, ceux dont l'évocation ne permet de s'accorder ni le rôle de héros ni celui de victime, se trouvent frappés d'oubli. Selon toute vraisemblance, les témoins n'ont pas besoin, cinquante ans après les faits, de faire un effort pour les dissimuler ; c'est leur mémoire, au sens cette fois-ci de faculté triant les expériences du passé, qui s'est chargée de leur éviter le désagrément qu'aurait provoqué leur évocation.
Même si la mémoire est bien présente, elle peut avoir enregistré, en toute bonne fois, des inexactitudes. Ainsi Bernard Dargols, malgré les détails qu'il fournit, commet quelques erreurs lorsqu'il se souvient de son arrivée à Omaha (unique analyse des pages 86-91 de son ouvrage) : il évoque la plage d'Omaha Beach qui s'étend de "Bayeux à Carentan", il voit des "collines" qui sont en réalité des falaises et des "dunes" qui servaient de "caches aux allemands", il dit "au loin se dessinaient les falaises d'Utah Beach et de Gold". Toutes ces descriptions sont fausses ou inexactes ou utilisent un vocabulaire impropre, il a donc mal interprété ce qu'il voyait ; lors d'une rencontre, je me permets de lui signaler, il me répond "C'est exactement ce que j'ai vu le 8 juin 1944 et ce dont je me souviens aujourd'hui". Bernard, qui connaît parfaitement le site d'Omaha sait aujourd'hui qu'il s'est trompé dans ses repères en 1944, qu'il ne pouvait voir ni collines, ni Utah, ni Gold...mais, il veut absolument dire dans son témoignage ce qu'il a pensé réellement voir à son arrivée à Omaha et qu'il n'a jamais oublié.
De là, la nécessité d'être prudent et de croiser documents et témoignages pour que des évènements historiques deviennent d'une crédibilité incontournable.
- Un exemple : Méthodologie d'un historien américain face aux témoignages
Dans son ouvrage consacré à Omaha (plus de 500 témoignages), l'historien américain J Balkoski explique, dans son introduction, sa méthode de travail. Il s'aperçoit vite que "l"histoire de la bataille n'est qu'un patchwork de centaines de vignettes jouées par des individus isolés". Il travaille pendant 25 ans à faire des recherches dans les archives, et s'aperçoit que collecter des pages de documents d'archives, c'est facile... mais l'analyse critique est problématique, comment organiser et trier l'utile, le détail, le trivial... ? Il s'aperçoit vite que la mémoire varie grandement d'un vétéran à l'autre, que des déclarations faites des années après sont incomplètes, voire erronées, que des récits sont cohérents et d'autres une "galéjade enluminée des années après". Un individu, un soldat, un témoin n'est qu'"un minuscule point au cœur d'évènements tragiques". J Balkoski veut tout savoir sur son témoin : date, heure, lieu de la scène, unité du soldat, sa mission, son programme...
Il a observé 3 règles simples pour rapporter des témoignages:
-l'anecdote doit de situer dans le temps et l'espace du 6 juin
-Il doit pouvoir confirmer les détails majeurs du récit et, donc, en cas de contradiction flagrante, le témoignage est systématiquement écarté
-l'essentiel des témoignages est recueilli au plus tôt après le 6 juin 44 (récits les plus poignants et les plus fiables souvent recueillis minutieusement par les historiens de l'armée)
Ensuite, il analyse cette matière brute avec méthode et patience. Si nécessaire,il utilise des témoignages plus tardifs, tels ceux recueillis dans les années 1950 par C Ryan pour son ouvrage, "Le jour le plus long", mais a comme règle de base : Plus tôt, un ancien a gravé ses souvenirs de la bataille, plus il s'y fie.
Et donc son ouvrage est basé sur une sélection de 500 témoignages, rapports, citations et autres dont au moins la moitié ont été produits en 1944, et les 2/3 avant 1950. Chaque déclaration est identifiée par le nom de l'auteur, sa fonction et sa datation si elle est fiable (problème des témoignages tardifs)
- De l'utilisation d'un "témoignage" non vérifié...
Conclusion
Ces témoignages sont considérés comme un préalable à la connaissance des faits, base du futur récit historique. Or les historiens manifestent généralement de la méfiance envers une technique dont ils soulignent la fragilité et la malléabilité en fonction des buts poursuivis par le témoin et le contexte dans lequel il est appelé à livrer son expérience. (Voir Annette Wierviorka , L’Ère du témoin)
Aussi la prudence est nécessaire, il faut laisser les historiens exploiter les témoignages qu'ils réalisent avec méthodologie. Ainsi, Antoine Prost, rappelle cinq principes méthodologiques : ni tabou, ni censure d’hypothèse mais respect de l’honneur du témoin, importance du lieu du témoignage, importance du contexte de production, prise en compte de la personnalité du témoin (le chercheur n’a ni à s’agacer ni à se réjouir du prestige éventuel de son interlocuteur) et, enfin, devoir d’humilité.
Compléments :
La mémoire devant l'histoire: https://journals.openedition.org/terrain/2854
Statut du témoignage https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-103.htm
& https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-69.htm