Pertes psychiatriques

Dans les semaines qui suivent le débarquement, de plus en plus de soldats présentent des troubles psychiatriques, en effet de nombreux GI's ne  supportent pas la dureté de la bataille. Beaucoup craquent, épuisés autant physiquement que mentalement. Ils ne supportent plus de combattre, certains fuient en désertant  ou se mutilent pour ne plus être opérationnel. 



Les raisons sont multiples et se juxtaposent :

-Les hécatombes dans les rangs perturbent gravement la santé mentale des soldats et officiers américains. En effet les pertes sont grandes. Le choc émotif  généré par la disparition d'un ami souvent très jeune (lire le dossier sur leur motivation)  est très douloureux, immédiatement, se pose la question pour celui qui se retrouve seul  : "Pourquoi suis-je encore en vie ?".  La mort s'accompagne d'un grand respect  avec un hommage réaliste  où  souvent on évoque le combattant modèle même si  la "gloire est une idée de civil" et que, la plupart du temps, la mort se révèle absurde, liée au hasard.
En effet,  à force de côtoyer la mort et le risque de mourir, la peur  s'exprime  par des réactions  classiques comme "se mouiller" (perte de contrôle de la vessie) ou "se salir" (déféquer) qui traduisent une terrible angoisse. O Giesbert raconte, dans son roman,  que son père, GI ayant débarqué  à Omaha le  6 juin, lui disait : 
 "On se chiait et on se pissait dessus". Or chaque homme, et, surtout les officiers,  essaie de se maîtriser pour ne pas montrer sa peur, ne pas sombrer dans la honte, ne pas trembler, ni bégayer
S P Collins raconte : " J'ai sauté par dessus la barge et j'avais horriblement peur, ça, je peux le dire. Je pensais que nous étions plus près du rivage ,mais pas vraiment, j'ai coulé. J'étais effrayé et honteux d'avoir si peur".
Avoir peur n'est-il pas l'apanage des lâches  alors qu'il faut se montrer héroïque ? Le problème réel était que les soldats américains qui viennent juste de sortir de l'adolescence  n'étaient pas préparés à combattre un ennemi sous estimé, dans un environnement hostile aussi étaient-ils particulièrement vulnérables dans les premières heures et jours, ensuite, ils apprirent la prudence et la sagesse face au feu ennemi. L'entraînement est une chose, et le combat, une autre.
Cette peur de mourir a incité ces hommes à prendre des mesures pour prévenir leur propre mort. Déjà, ils doivent tous être bien identifiés par le marquage des vêtements (Laundry Nuber) et porter leur deux "Dog tag" ; certains ont laissé un testament, ce que l'armée conseille, et même pris une assurance vie, la "National Service Life Insurance" qui pour 6,5 $ /mois permet de reverser la somme de 10.000 $ au bénéficiaire. Pour dompter la mort, tout est bon, on pratique beaucoup la superstition, le porte bonheur ou plus simplement, on prie ; mais souvent on se réfugie aussi dans l'alcool qui sert de "calmant". D'ailleurs les américains ont vite pris goût au calvados des normands, un mot français que tous connaissent !

-le choc des explosions  des obus ("Shell shock") génère des commotions cérébrales, mais il semble que le problème  fut davantage  le résultat d'une peur à la suite d'une exposition prolongée au feu. De plus, voir un homme mourir mortellement blessé par un obus est aussi un terrible choc qui fait souffler un vent d'effroi et de panique. Souvent l"émotion amène des attitudes irrationnelles  pour se raccrocher  à quelque chose, de toute façon, chacun perçoit la proximité de la mort à sa façon, certains se voient mourir, d'autres rêvent d'une mort brève et sans douleur, en fait, on veut une mort juste.

-les conditions de combat et le sentiment de  vulnérabilité sont constants. Apparu lors du débarquement, cesentiment s'accrut dans le bocage normand, avec l'abondance des haies et des chemins creux  qui offrent trop de pièges dans l’enlisement de l’offensive au mois de juillet, d'autant que les blindés peuvent difficilement circuler. La tension permanente des combats dans le bocage avec des embuscades  fréquentes et meurtrières rendent les hommes très nerveux, fatigués par des journées trop longues ( de 4H 45 à 23H15, il fait jour) avec des  combats sans fin. Aussi le sommeil est rare, trop  court. On dort  dans des trous où l'on se terre pour la nuit et le matin on se réveille dans un trou inondé. Tout est difficile, y compris dans la grande armée américaine, les abris sont précaires, les rations froides, sans pain, l'habillement insuffisant souvent humide et rarement changé, en effet l'été normand offre son mauvais temps habituel avec des pluies nombreuses.  On désespère et on devient vite abruti d'épuisement.

Faute d'effectifs, les unités étaient rarement relevées, et beaucoup de soldats débarqués au début de juin combattirent sans trêve jusqu'au mois d'août, la 2nd Division US passa  303 jours sur le front. Aussi, on s'efforça d'améliorer les conditions : aumôniers omniprésents,  cinéma  partir du 25 juin, courrier  à partir du 6 juillet, amélioration de la nourriture avec des repas chauds  à partir du 25 juillet pour la 1ere armée,  mais cela concerne surtout l'arrière et rarement le front. 

Psychonévroses
 Ainsi à la mi-juillet, 25 à 33 % des blessés américains n'étaient pas touchés physiquement, mais  en réalité étaient atteints de psychonévroses  ou d'épuisement au combat. Ces hommes ne sont plus en état de combattre, certains iront même, d'après O Wiervorka, jusqu'au « Breakdown », une rupture totale avec l'armée.
On comprend ainsi que le refus de combattre apparaît surtout dans l'été 44, on reste dans son trou, on feint une blessure fictive ou on se mutile volontairement,  tout est bon pour rejoindre l'arrière. Les hommes craquent.
Mais les  américains furent assez cléments pour sanctionner désertions, absence, mutilations : entre juin et novembre  1944, ils répriment:
-231 "AWOL" (Absent WithOut Leave) absences sans permission
-169 "misconducts" mauvaise conduite face à l'ennemi
-141 "dangerous duty" refus de service dangereux
Tous ces cas ne finissent pas devant les tribunaux.

Le commandement allié dut admettre la réalité de ces maladies traumatiques et hospitaliser ceux qui craquaient pour "troubles psychiatriques". 
On compte  590 cas du 9 au 16 juin (14% des blessés)  ; 1339 du  7 au  14 juillet (1/3 des blessés) ;  755 du 28 juillet au 4 août (46% des blessés). 
Au total 5669 cas pour la première armée (36% des pertes)et 1861 pour la 3° armée (18% des pertes non mortelles " non fatal casualties".

Bien entendu c'est l'infanterie qui supporte l'essentiel des pertes psychiatriques, soit les 3/4, mieux vaut être dans la marine, l'aviation ou  sur terre, dans l'intendance ou l'artillerie.

La gravité des cas est variable : 
-20% perdent le contrôle de leurs sphincters et  10 % urinent sur eux.
-certains se suicident, mais seront considérés comme " KIA ( Killed in Action)
-25 à 33 % sont incapables de poursuivre la guerre

Le nombre de cas évolue avec l'avance américaine:  peu important  au début (enthousiasme) plus nombreux pendant les combats dans le bocage. Les catégories les plus touchées sont  "bleus" faisant partie des renforts et souvent inexpérimentés en souffrent beaucoup, et, les vétérans au bout de  4 mois de combat épuisants (exhaustion)


La réaction du commandement américain

Le commandement américain n'avait pas prévu une hémorragie  d'une telle ampleur, il est désarçonné et doit réagir. Bradley exige l'emploi du terme " exhaustion" (épuisement) qui n' a pas de connotation morale. On pratique désormais l'évacuation vers l'arrière, une semaine d'observation, de repos avec une bonne nourriture et des soins  psychiatriques, mais au plus près des lignes pour faciliter un éventuel retour. Les conditions de soin sont organisées en fonction de la gravité des cas, l'US Army va traiter  9101 cas en juillet et  78% des soldats purent retourner au combat. Dans l'ensemble on considère que, pour la Normandie, 62 % des soldats atteints retournent au front,  13% font un service non combattant, et les autres, 25%, sont évacués en Angleterre. Par la suite, les résultats furent encore meilleur avec plus de 65% de retour. Ces résultats montrent l'efficacité des soins apportés et servirent de modèle pour les britanniques.
 Les états major ont aussi fait le choix de considérer ces défaillances comme un maladie (psychonévrose) avec les soins qu'il convient et non pas  comme une simulation. Donc on va  à l'hôpital et pas au tribunal, on considère que la maladie  "ce n'est pas dans la tête!", courage et peur ne sont pas opposés.
Les mêmes phénomènes frappèrent évidemment les combattants allemands  et russes mais on ne reconnaissait pas ces troubles mentaux, ceux qui craquaient étaient fusillés.
Vite se pose la question de savoir s'il faut "prévenir" en amont et détecter les  les conscrits soufrant de ces problèmes via des tests dont l'efficacité demeure douteuse.  (1,5 M d'américains furent ainsi éliminés)
Mais la victoire endigua l'hémorragie, les cas psychiatriques baissèrent de 5 hommes pour  1000 en juillet  à  1 pour  1000 en septembre. La crise de l'été fut donc humainement dramatique pour l'infanterie.


Aujourd'hui, on évoque des soldats valeureux et courageux, ce qui est vrai mais on occulte totalement les défaillances  et troubles psychiatriques d'hommes confrontés brusquement à la violence et  à la mort que le corps et le cerveau n'acceptent pas. Dans tous les cas, les survivants ne sont pas revenus indemnes : environ 70 % des GI'S souffriront de problèmes psychiatriques à leur retour, signe du traumatisme de la guerre. (Lire le roman "L'américain" d'O Giesbert)


Sources : Ouvrages d'O Wievorka et d'A Deshays