Quelles motivations pour les GI's ?=.

On lit souvent  que les "GI's étaient les soldats  valeureux de la démocratie" (S Ambrose) prêts à se sacrifier  pour leurs idéaux : c'est une vision magnifiée qui occulte les difficultés rencontrées par de jeunes hommes soudainement confrontés  à une violence insoutenable qui en traumatisa beaucoup.

Qui sont réellement ces Gi's qui vont débarquer le 6  Juin ?

La jeunesse américaine qui se retrouvera GI est née au début des années 20, aussi fut-elle fortement ébranlée par la crise de 29 qui amena chômage et misère et de longues années de difficultés
" Nous avions deux repas par jour, généralement à base de maïs, la viande était un bien rare" (G Geiger 3° armée de Patton)

Les  soldats : de jeunes civils ignorants, débutants
La jeunesse  se préoccupe surtout du quotidien et de la débrouille. L'attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941, fut un choc et  la première occasion de ressentir un élan patriotique car la nation était attaquée. La loi sur la conscription du 20/12/1941 élargit la mobilisation aux américains âgés de 20 à 40 ans, ce qui contraint les hommes  à se faire connaître aux autorités qui leur attribuent un "numéro" qui permettra d'effectuer un "tirage au sort" ("draft") pour  se mettre  à disposition du gouvernement pour la durée de la guerre. Mais certains préférèrent s'engager volontairement ("enlister soldier") y compris ceux âgés de 18 ou 19 ans avec l'autorisation parentale.
A partir de 1942, l'engagement se développa rapidement, les raisons essentielles  sont le goût de l'aventure, un salaire régulier et le opportunités de voyager, sans oublier les cigarettes à  volonté, la bière et peut-être de jolies filles attirées par les uniformes !
"On pensait surtout à boire aux filles et puis à voir des pays lointains" (NW Thomas)
L'idéal démocratique n'apparaît pas chez ces jeunes soldats (23 ans de moyenne d'âge) peu diplômés, naïfs, arrogants et ignorants qui ne craignent pas la mort, trop jeunes. Ils ne savent pas trop qui ils vont combattre et où ils iront.

" Il est certain que le GI moyen ne comprit jamais rien à la guerre et ne sut pas vraiment pourquoi il combattait en Europe. Personnellement, je crois qu'il combattit simplement pour pour en finir et rentrer chez lui. Il combattit pour tuer des hommes qui voulaient le tuer. Il combattit aussi parce qu'on lui ordonnait" Ralph Ingersoll, officier américain

En fait, seuls les soldats du Pacifique semblaient réellement motivés pour aller combattre pour détruire l'empire du soleil levant qui les avaient attaqués à Pearl Harbor, par contre  la détermination d'aller combattre le "Reich" est beaucoup moins évidente : " 50% des hommes ne l'avaient pas" d'après le  colonel Sandler. L'armée américaine est peu endoctrinée et peu motivée :  elle  combattra parce qu'il le faudra !

Ainsi, Eisenhower accompagné des généraux Bradley et Patton visite le 12 avril 1945 le camp de Ohrdruf (annexe de Buchenwald) premier camp libéré par les alliés et le fait visiter aux soldats présents, ensuite il déclare : "Ce que j'ai vu défie toute description."
"On nous dit que le soldat américain ne sait pas pourquoi il combat. Désormais, au moins, il saura ce qu'il combat"

S'entraîner
Désormais, ces jeunes  vont être formés " à tuer" pendant un long entraînement  (21 mois) éprouvant qui va les transformer en adultes. Début 1944, tous les soldats sont basés en Angleterre devenue un vaste camp militaire.
Les entraînements sont durs et interminables ;  le quotidien est difficile : harcèlement, loi du plus fort, mépris, sadisme de la discipline qui punit, humilie les soldats, sans parler de la crainte des inspections  inopinées de l'équipement  par les officiers, occasion supplémentaire de sanctions (corvées de latrines...). Ce type de comportement est nommé "Chickenshit" ou.. chiure de poussin, tellement tout cela est minable et épuisant.
Du coup, chaque homme ne souhaite plus qu'une chose : aller combattre !
Si les rapports entre les les soldats et les officiers étaient souvent dégradés lors des entraînements, plus tard sur le terrain les officiers  surent protéger et rassurer leurs hommes apeurés  qui avaient bien besoin dans  les périodes angoissantes de bataille de retrouver une image paternelle.

Sur le terrain
Rien à voir avec la légende selon laquelle les hommes  débarquèrent sans crainte sous le feu de l'ennemi.
Très vite, l'on déchanta:  premières balles, blessés et morts firent très vite apparaître la peur, et pour certains la folie,  même des commotions cérébrales tant la violence était omniprésente. Le choc psychologique  fut terrible avec la prise de conscience de sa propre vulnérabilité, que la mort peut arriver très vite et que pour l'éviter,  la prudence ne suffit pas,  il faut de la chance. Sans cesse, la mort vient à l'esprit : des images insoutenables, des cris, des odeurs,  le bruit terrifiant des explosions et balles qui sifflent.

" Tôt le matin, il ne fait pas froid cependant mes mains ne cessent de trembler. Avant d'arriver sur la plage, j'étais  impatient et anxieux, je ne savais pas ce qui m'attendait, maintenant face à une nouvelle mission, je deviens presque dingue !"SP Collins 29 DI.
"Pourquoi suis-je encore en vie ? les balles ont sifflé tout autour. Il y avait des morts. Pourquoi suis-je envie ? "
"Vous regardez autour de vous et vous vous demandez qui qui sera bientôt mort"
Après un débarquement difficile à Omaha, des heures passées dans l'eau et sur le sable  à attendre une opportunité pour avancer au milieu de l'horreur et de la mitraille, les Gi's pensaient  pouvoir trouver un combat tel qu'il leur avait été appris lors de l'entrainement. Ce ne fut pas le cas.  Ces novices ont connu l'enlisement dans le bocage et ses haies, petits chemins avec de lourdes pertes, le sentiment de désespoir et d'égarement était là pour des hommes épuisés et sans repères.
Aussi beaucoup  ont-ils craqué nerveusement,  physiquement ou psychologiquement, à des degrés divers. Mais on évite de le montrer pour ne pas avoir honte, surtout l'officier qui doit être exemplaire.

"Un jour, j'étais abrité dans mon trou individuel, un type m' a fait remarquer que mes cheveux avaient grisé ! tout, mes cheveux, mes poils, mes sourcils "

L' Etat major prit conscience de cette démoralisation, un peu tardivement,  mais  y remédia  début juillet  1944: quelques permissions,  davantage de courrier, une meilleur nourriture, projection de films, réconfort de l'église...

Aussi évite-t-on de parler des désertions, mutilations,  de lâcheté, de  peur et, encore moins, de viols et de vols. 
Certains essaient d'éviter le combat en se mutilant ou en désertant, les américains ne fournissent pas de statistiques précises ;  de juin à novembre 1944, il y eut 231 absences injustifiées (AWOL : Absent WithOut Leave), 169 mauvaises conduites ("misconducts") et 141 refus de service dangereux ("dangerous duty"). 
Des chiffres à relativiser car ce sont surtout les troubles psychiatriques le problème le plus important et difficile  à traiter. Comment considérer un soldat traumatisé :  un malade à hospitaliser ou  un lâche, passible de la cour martiale ?

Névroses : "courage et peur ne sont pas opposés"

Aussi les névroses (en anglais "pshychoneurosis") touchèrent-elles beaucoup d'hommes, environ 20 à 30 % des blessés, selon les conditions de la bataille, et, surtout en juin et juillet 1944. 

Comment l'expliquer ? Les combats durent dans des conditions particulièrement difficiles et inattendues:
- un ravitaillement difficile dans le bocage: on mange froid, on ne se lave pas, on ne se change pas parfois pendant longtemps
-des combats difficiles dans les haies du bocage avec l'inefficacité des blindés
-de longues journées d'été au combat (de 5H le matin à 23 h le soir) et des hommes anxieux, abrutis d'épuisement (" combat exhaustion")
-les armées piétinent et dépriment : pas de percées en juin et juillet
-spectacle permanent des atrocités de la guerre (corps, sang, odeurs, destructions, cadavres d'humains et d'animaux..)
-"shell shock" commotion due aux obus

C'est donc l'infanterie qui  subit le plus les conséquences d'autant que c'est plus dangereux et moins glorieux d'y servir que dans l'aviation, la marine ou l'intendance ou l'artillerie (et en plus moins bien payé), on y trouve donc  les trois quarts des pertes au combat et des pertes psychiatriques.

Comment réagit l'Etat major ? les officiers furent vigilants et renvoyaient systématiquement du front  tout élément trop nerveux. Des protocoles de soins sont établis en soignant les malades le plus tôt possible, au plus près des lignes avec obligatoirement 24 h de repos, avec un éventuel retour progressif dans l' unité. Sinon, des cures de soins appropriés étaient apportés avec des résultats satisfaisants : environ 60% retournent au combat,  13 % furent maintenus dans un service non combattant, et 25 % furent évacués vers Angleterre.
Ce comportement est différent chez les britanniques qui ont tendance à rapatrier systématiquement les malades, et chez les russes, la "psychonévrose" est punie...par la mort.
Les américains ont toujours considéré les soldats atteints comme des malades et non comme des simulateurs en faisant une confiance totale aux psychiatres, un peu d'humanité quand même !
Ces problèmes diminuèrent beaucoup avec les succès  et les avancées du mois d'Août 1944.

Des soldats qui ne savent pas se battre ?

Qui le dit?... 
Uniquement des paroles de l'après guerre,  surtout les soldats de la Wehrmacht qui les jugent déloyaux " lâches et mesquins" et  "inférieurs aux allemands"et  au soldat russe "courageux et rustique" (seul l'italien serait pire !). Après la guerre les officiers généraux allemands disent" "L'US Army a fait pâle figure et peut dire merci à son industrie!". Les français sont dédaigneux face à  cette armée de "décontractés" et Montgomery indiquent qu"ils ne veulent pas se battre car ils n'ont pas confiance en leurs généraux".
Des arguments viciés par des œillères et la partialité  et, surtout, en raison du choc que représentent la puissance, le nombre et la technicité du matériel américain face à des allemands qui utilisaient encore beaucoup les chevaux.
Toutefois à l'après guerre, l'US Army s'autocritiqua en expliquant que "beaucoup de fantassins étaient cloués au sol face à un ennemi très agressif en attendant les renforts aériens"
Dans les années 80 plusieurs auteurs contredisent ce dénigrement et démontrent que les forces américaines ont été bien supérieures et performantes que les forces allemandes.

Qu'en est-il ?
Ce mythe s'explique essentiellement par la médiocrité et les déboires des premiers engagements américains  en Afrique du nord (Nov 42- Mai 43). Ce baptême du feu de néophytes maladroits fut compliqué uniquement  par le manque d'expérience d'une armée constituée à 99% de "mobilisés"  peu efficaces car mal formés par des cadres qui, eux aussi, manque d'expérience ! Cela ne va pas durer, les procédures d'entraînement vont progresser, des balles réelles seront utilisées, les "vétérans" vont apporter leur expérience. En  1944, même si la préparation n'est pas encore parfaite, le GI est un combattant  parfaitement entraîné
  (et beaucoup mieux que les "hitlerjugend !). Certes, il y aura quelques défaillances, surtout liées à la qualité des encadrants et  à la présence de "bleus" qui connaissent leur premier baptême du feu dés leur arrivée sur le terrain. Un des problèmes fut lié au matériel :  l'impossibilité pour les GI's d'utiliser au mieux le fusil M1 Garrand semi automatique, puissant et précis mais qui utilise des  cartouches qui émettent fumées et couleurs, trahissant la position. De plus, dans le bocage, le matériel américain est mal adapté, ce qui explique la prudence de l'infanterie américaine : on manque d'une vraie mitrailleuse (1 fusil mitrailleur bar pour 12) face aux allemands qui possèdent le puissant  MG-42 (1 pour 9 hommes), de  plus une compagnie possède  2 mitrailleuses légères face aux 28  pistolets mitrailleurs  et 15 mitrailleuses allemandes.

 Si des difficultés apparaissent rapidement dans les premiers  combats dans l'enfer du  bocage, très vite l'armée américaine va profiter de ses erreurs pour innover, tel le coupe haie Hedjecutter du  sergent Cullin  surnommé aussi  "Rhinocéros", et, surtout, mettre au point des stratégies redoutables, essentiellement basées sur la coopération entre unités  (artillerie, chars, tanks, aviation..) via la radio qui permet des frappes puissantes  d'une très grande précision (moins de 100 mètres). La maturité tactique arrive vite et l'US Army crée "une guerre en réseau pour synchroniser et décupler l'efficacité de chaque arme", elle peut s'appuyer sur une armée homogène qui ne repose pas sur une petite élite comme pour les forces allemandes.
Certes le Gi's a d'abord  été hésitant encadré par  des cadres défaillants dans un milieu inconnu, mais très vite il s'est adapté et  a montré ses capacités : adaptabilité, ténacité, souplesse, efficacité et lui n'était pas fanatisé ! L'infériorité du Gi's est donc bien un mythe.

Une déferlante sexuelle ?
Le magazine "Stars and Stripes"  présentait  aux soldats, comme une formidable opportunité sexuelle, le fait de s'engager.... moyen de motiver les troupes et d' encourager ces jeunes hommes à débarquer sous les balles. Le Guide pratique à l’usage des GI’s en France, en 1944, indique : "On dit que les Françaises sont faciles. Mais en fait, pas du tout ! "… Pourtant les soldats qui débarquent portent tous un lot de cinq préservatifs distribué avec leurs munitions... Joe Weston, journaliste de Life, : écrit  en 1945 "La France est un gigantesque bordel habité par 40 millions d’hédonistes qui passent leur temps à manger, boire et faire l’amour".  Les Françaises avaient donc la réputation d’être sans préjugés raciaux et sexuellement libérées. Les GI noirs avaient été persuadés par les récits de leurs aînés qui avaient séjourné en France pendant la Première Guerre mondiale que les Françaises n’avaient aucune réticence à faire l’amour avec des noirs. Que de stéréotypes !


On affiche volontiers le cliché du Gi's athlétique, bien nourri, chargé de cadeaux inestimables, chocolat, cigarettes, chewing-gum et assez riches pour sortir les filles au cinéma...d'autant qu'elles sont belles, seules depuis 4 ans et qu'il leur faut de la compagnie !  
On insiste aussi beaucoup sur les "viols"...effectués par les noirs, eux qui ne combattaient pas mais, s'occupaient à l'arrière de l'intendance.
Robert Lilly, auteur de la  "La Face cachée des GI’s"répond : « le nombre de viols signalés par l’armée américaine est de 181 pour la France - 121 en Angleterre, 552 en Allemagne – et ce furent 116 soldats américains qui furent jugés pour viols en France. Or  le viol est l’un des crimes les plus sous-représentés dans les archives : on estime à 5 % le nombre de viols déclarés par rapport aux violences réelles. J’en conclus que le nombre de viols en France causés par des soldats américains fut d’environ 3 500, contre 2 500 au Royaume-Uni et 11 000 en Allemagne. Les viols commis en Allemagne représentent deux tiers de ces estimations, mais aucun soldat américain n’y a été condamné à mort. Dans le cas de l’Angleterre et de la France, il s’agit donc de crimes sexuels en temps de guerre, dont les auteurs sont considérés comme criminels ; dans celui de l’Allemagne, ces actes sont considérés comme des « viols de guerre » où les circonstances et la nationalité des victimes les rendent en quelque sorte « acceptables ».
« Dans 85 % des cas, ce sont des soldats non gradés et noirs. À plus de 60 %, il s’agit de viols collectifs. Sur les 116 soldats jugés, 21 furent pendus en France, et 67 écopèrent de la prison à vie, peine effectuée aux États-Unis ».
« Le premier viol qui mena à un procès en France : le 14 juin 1944, à 4 kilomètres au sud-est de Sainte-Mère-Eglise, Mlle S., réfugiée polonaise, fut violée à 300 mètres de chez elle dans un champ où elle allait traire les vaches par quatre « soldats de couleur » qui l’avaient auparavant aidée à pousser une charrette. Les archives mentionnent qu’ils « auraient bu du vin ». Un bref procès eut lieu le 20 juin, le soldat Whitfield fut condamné à mort, pendu le 14 août 1944 ».

Pour le seul mois de juin 1944, en Normandie, 175 soldats américains seront accusés de viol.  mais aucun document n'indique des  viols dans le secteur d'Omaha. Ce nombre relativement important s'explique en partie  par le refus des autorités américaines, d'adopter un système de prostitution réglementée  mais aussi par l'ivresse des auteurs dans au moins 50% des cas. Si le nombre de noirs est plus important, c'est en raison du ségrégationnisme de l'armée qui  leur impose des tâches d'intendance  au contact des civils  avec un encadrement assez léger, dans tous les cas les peines  à leur encontre étaient beaucoup plus lourdes que pour les blancs.
Il est évident que ces faits méconnus  allaient à l'encontre du soldat mythique de la "greatest generation". Ces débordement américains, surtout en 1945 (ex Le Havre), ont  très certainement apporté une image négative de la présence américaine en fin de guerre.

Conclusion
L'entraînement est une chose, mais le combat une autre, que ce soit sur une plage ou dans le bocage. Les Gi's, même s'ils ont eu peur, mais qui peut s'en étonner,  ont été  courageux et ont toujours su habilement  s'adapter aux diverses conditions de combat.
Si l 'armée américaine niait cette peur et préférait ne parler que d'héroïsme et d'honneur, elle se donna les moyens d'apporter une réponse médicale  aux soldats névrosés et traumatisés.
Même si beaucoup de Gi's valeureux se battaient sans état d'âme, peu revinrent indemnes, de profonds traumatismes leur avaient été infligés.
Ces problèmes perdurèrent, tel fut le cas du père de l'écrivain F.O Giesbert, GI  américain. Dans son roman "L'américain", il écrit : 
"Il s'était fixé en Normandie. Il me battait beaucoup. Il battait, surtout, beaucoup maman. C'est pourquoi j'ai passé mon enfance à vouloir le tuer.
Ma haine contre lui ravagea tout en moi, ma lucidité et mon humanité. Jusqu'à sa mort. Mais jamais je n'oublierai le sourire souffrant qu'il traînait partout et qui, aujourd'hui encore, me fend le cœur."