Bradley a-t-il commis des erreurs ?



Le général Bradley, officier de l’école militaire de West Point, est un militaire expérimenté : en Afrique du nord, sous le commandement du général Patton, il  est à l’origine de la capture en mai 1943 de la Tunisie et de près de 250 000 soldats allemands, puis il se lance dans la conquête de la Sicile qu’il occupe en août 1943.
Ensuite il est rappelé en Angleterre pour  préparer l’invasion et devient  le commandant du  1er corps d’armée américain, sous les ordres du général britannique Bernard Montgomery. C'est donc Bradley le plus haut gradé,  responsable du débarquement américain, mais c'est le général LT Gerow  qui dirige l'attaque sur Omaha bien qu'il manque d'expérience et qu'il doute "l'importance de l'imprévu at-il été suffisamment pris en compte dans les plans ?"

Les décisions du  6 Juin

Le 6 juin 1944, Bradley, le commandant de la Ire armée américaine, se trouve sur le cuirassé USS Augusta et observe le déroulement du débarquement sur les plages  proches d’Utah Beach et de Omaha Beach.
A 8h30,  le général Omar Bradley, tente de cerner à la jumelle, la situation à  Omaha. Derrière un épais rideau de fumée noire, la plage est en plein chaos, jonchée de cadavres, encombrée de véhicules et de matériels, mais que voit- réellement Bradley ? Des péniches de débarquement tournent sur elles-mêmes, c'est la panique. Des officiers sont envoyés sur un patrouilleur afin de mieux observer la situation, leur rapport est pessimiste...

De gauche à droite : Kirk, Bradley, Struble (jumelles) et Keen le Jour J sur l'USS Augusta.
Photo : US National Archives



Vers 9 heures, près de 10.000 hommes ont déjà débarqué, mais un tiers sont déjà hors de combat, tués ou blessés. Les autres sont cloués au sol. Les trois quart des équipements radio ont pris l'eau et sont inutilisables. Bradley reçoit de rares messages, fragmentaires,  toujours alarmants et un  rapport catastrophique  estimant déjà de lourdes pertes avec 3 000 soldats hors de combat. Les nouvelles sont rares et confuses,  les observations peu rassurantes, Bradley est anxieux."A mesure que la matinée avançait, mes alarmes se faisaient de plus en plus vives au reçu des rapports inquiétants et fragmentaires que nous récoltions par radio. De ces messages, nous ne pouvions tirer qu'un incohérent assemblage de naufrages, d'échouements et de feu ennemi très dur. Lorsque le VI° corps signala  que la situation était critique, j'envisageai avec réticence  la dérivation sur Utah et les plages anglaises des forces de renfort destinées à Omaha"

Devant ce marasme, il décide donc de ralentir et même interrompre tous les mouvements de matériel sur la plage complètement engorgée. Le chef des forces armées américaines est alors à deux doigts de renoncer,  et  pense même   interrompre le débarquement sur Omaha,  quitte à ré-embarquer les troupes américaines et les rediriger vers Utah Beach et les plages britanniques mais il s'aperçoit vite que  les embarcations ne sont pas suffisantes pour permettre une telle opération. Cette solution, désastreuse sur le plan humain, nécessitait le sacrifice des hommes présents sur la plage : impensable.   A 9h20, il ordonne  d'engager à nouveau l'artillerie de la marine  pour améliorer la situation ce qui permettra cette fois d'apporter quelques dégâts aux forces allemandes
Comme il l'écrira plus tard dans ses Mémoires. "Le sort d'Overlord, - une des batailles emblématiques du XXe siècle - en aurait été chamboulé."

Mais, en fin de matinée, seulement, progressivement des nouvelles rassurantes arrivent  :
-10 h 46 : l'USS Ancon, navire amiral de la force O, reçoit ce message : "Les choses semblent aller mieux." 
-Vers 11H, Gerow reçoit un message  du colonel Talley " les hommes gravissent la pente sur Easy Red. Des hommes  se situent sur le sommet d'Easy Fox.  La maison sur  E3 semble neutralisée.. La situation s'améliore". En fait sur le terrain la situation est encore meilleure car depuis plusieurs heures les fantassins de Spalding occupent la falaise de ce secteur.
-11H45, Bradley reçoit ce message:" Situation sur les sorties Easy, Fox et Dog toujours critiques à 11H... Le 115°RCT a reçu l'ordre de nettoyer le plateau vers Easy red à 11H31. Les combats continuent sur la plage...Les véhicules arrivent lentement. Des rapports indiquent des captures d'allemands"
-vers 13h : Le général Omar Bradley, sur le navire amiral Augusta, reçoit le rapport suivant : “Troupes auparavant stoppées sur plages Easy Red, Easy Green, Fox Red, progressent sur hauteurs derrière plages“.

Enfin de vraies bonnes nouvelles.


A quoi sert un général ?
Les GI's sur la plage se demandent bien que faire. Tous les plans minutieux  sont tombés à l'eau, beaucoup d'hommes sont morts dont de nombreux gradés. L'angoisse et l'incertitude règnent. Les généraux Huebner, Gerow, Bradley suivent le déroulement des opérations à distance, depuis leurs navires de commandement, mais comme les radios fonctionnent mal, détruites ou impuissantes sur la plage, ils communiquent difficilement et ne se doutent pas qu'ils vivent en direct un drame. Là ou ils sont, ils ne servent à rien.
Mais vers 7H30, le LCVP 71 avec 26 hommes  à bord dont 12 officiers y compris  le général Cota (51 ans),  Colonel Canham 116th,  et aussi, Wyman, Taylor, Schneider et autres officiers  débarquent avec beaucoup de chance sans encombre (heureusement !) sur Dog, entre Saint Laurent et Vierville. Ils ont apporté des radios tactiques pour communiquer facilement.
Sur la plage, ces  courageux officiers se mêlent aux hommes :  ils  vont prendre l'initiative et donner l'exemple aux troupes inertes sur le sable, perdues au milieu des blessés et des morts, ne retrouvant pas leur unité, n'identifiant pas là où ils sont  bloqués. Il faut trouver des solutions que personne n'avaient anticipées pour sortir du désastre et de la confusion :  une seule option, galvaniser les troupes  pour  quitter la plage et attaquer l'escarpement, surtout, en dehors de l'entrée des valleuses
Leurs exhortations sont restées célèbres (voir l'article dédié) :
-Cota: "il faut sortir de cette foutue plage" "ils nous assassinent ici, allons nous faire tuer à l’intérieur des terres"
-Le Colonel Taylor : "Foutez le camp de la plage, si vous restez, vous êtes morts ou vous allez bientôt crever" " il y a 2 sortes d'individus qui restent sur la plage, les morts et ceux qui vont mourir : foutons le camp d'ici en vitesse "  "si nous devons être tués, autant tuer quelques allemands avant ! »


En fin d'après midi, enfin,  les généraux à bord des navires, se décident à bouger, en effet  le rôle d'un commandant n'est pas d'être en première ligne, mais les circonstances dramatiques de la situation exigeaient de leur part de se rapprocher  de subordonnées. Le général Gerhrard débarque  face à Vierville vers 16H45. Puis à  17h15, le général Huebner et son état major quittent l'USS Ancon pour établir un PC sur la plage vers Easy red.
Gerow se décide en fin de soirée de s'installer sur Omaha pour  y passer la nuit ; il quitte l'Ancon vers 19H dans des conditions de mer difficile et débarque vers  vers 20H30 pour s'installer  dans un PC proche du Ruquet. C'est une bonne nouvelle pour les GI's de savoir que l’État major est désormais présent, parmi eux. Mais le plus dur est passé depuis longtemps.

Bradley a-t-il commis des erreurs ?

Laissons les historiens s'exprimer :
«On a frôlé le désastre», précise, l'historien Olivier Wieviorka. «Ce qui a permis de sauver la situation, c'est le calme de Bradley, qui décide de maintenir Omaha, et le comportement des individus», ajoute-t-il. Recevant les premiers comptes rendus dramatiques, le général américain se demande vraiment s'il arrête ou s'il continue. «Il a pris une bonne décision, à la fois stratégique et humaine, en estimant qu'on ne pouvait pas laisser les soldats américains mourir sous le feu allemand», explique l'historien.
 Renoncer à l'offensive aurait signifié, pour les hommes d'Omaha, l'absence de renforts et une mort quasi certaine. Cela aurait aussi ouvert une brèche de 60 kilomètres dans le front entre Utah et Gold. que les  allemands n'auraient pas manqué de s'y engouffrer. Le succès d'«Overlord» nécessitait  l'existence d'un front continu.