Le site d'Omaha : être optimiste !

C'est en 1943  que les plans d'Overlord s'établissent  avec le choix de débarquer sur les côtes normandes,  dont  le rapport du Cossac du Lt Morgan fournit moult détails sur le rivage normand. Il fallut encore choisir les trois plages les plus prometteuses pour un débarquement, les côtes à falaise, nombreuses, furent éliminées. Toutefois, on prit vite conscience des spécificités locales:  rebord de falaise, météo aléatoire et capricieuse,  amplitude des marées qui dégage de vastes espaces  parfois sur plus de  500 mètres pour ensuite venir remplir la grève jusqu'à la digue. Mais "les chances de réussite d'un débarquement en Normandie sont tellement plus grandes que dans tout autre secteur, qu'à notre avis les avantages l'emportent sur les désavantages" (Cossac).

Pourquoi ne pas choisir les plages du Pas de Calais ?
Le Cossac a rapidement exclu le choix des plages du Pas de Calais, chemin le plus court et rapide pour un débarquement ,  pour plusieurs raisons
-le site est attendu par les allemands, désinformés par Fortitude
-les côtes sont les plus fortifiées de France (et d'Europe)
-Le site est une position de pivot défensif de la chasse allemande
-Les possibilités d'expansion sont réduites, ce qui nécessite de s'emparer rapidement de ports (Anvers, Le Havre)

A l'opposé les plages de Normandie sont variées et larges, relativement  mal défendues,  à l'abri des vents d'ouest, dotées de voies de sortie pour évacuer hommes et matériel et surtout représentent un choix peu probable. Elles sont situées à équidistance de toute la côte sud anglaise. Leur seul défaut est l'absence d'un port qui sera pallié par la construction de ports artificiels avant la prise  des  deux ports proches: Le Havre et Cherbourg (qui ne seront pas attaqués directement, l'expérience malheureuse  de Dieppe en 1942 l'ayant démontré).

Lorsqu'Eisenhower et Mongomery prirent les commandes de l'opération, ils décidèrent, début 1944,  de porter à  cinq les divisions à  débarquer en ajoutant deux nouvelles plages qui doublaient l'espace de débarquement (40 à 80 km) et de fixer le  jour J  entre le 31 mai et le 7 juin.

Les commandements américains et britanniques ont eu à choisir le nom codé des plages sur lesquelles leurs soldats devaient débarquer. Les Américains choisissent de donner à «leurs» plages le nom d’un Etat (Utah) et d’une ville du Nebraska (Omaha), lieux d’origine de deux sous-officiers. Le général britannique Montgomery propose quant à lui des noms de poissons: Goldfish (poisson rouge), Swordfish (espadon), qui deviendront Gold (or) et Sword (épée). En revanche, sa proposition d’appeler la dernière plage Jellyfish (méduse) est rejetée: abrégé en «jelly», le mot signifie confiture, ce qui apparait peu approprié pour les circonstances… C’est le lieutenant-colonel canadien Dawnay qui trouve le nom final, Juno, qui n’est autre que le prénom de son épouse.

Omaha
La plage, la plus  à l'ouest, d'abord codée "313", puis   en  "46 ", enfin définitivement nommée en  1944  "Omaha Beach" ferait l'affaire,  malgré tous les écueils : 7 km de plage de sable  adossée à une falaise escarpée. Il n' y avait pas le choix car aucune autre possibilité n'existait dans ce secteur : c'est la seule plage sableuse de tout le littoral du Bessin.


Les falaises du Bessin : Omaha seule plage de sable
La configuration du site est particulière et se différencie nettement des autres secteurs de débarquement : Omaha Beach s'étend devant les communes de Vierville-sur-Mer, Saint-Laurent-sur-Mer, Colleville-sur-Mer et  se présente comme une longue bande littorale, légèrement incurvée en formant de croissant, de plage de sable  d'environ 8 km de long  encadrée de falaises rocheuses à chaque extrémité (où se situent les WN allemands les plus puissants) et ouverte sur cinq vallons qui permettent d'accéder aux villages. À 6 km, plus à l'ouest, se trouve le promontoire de la pointe du Hoc. 
C'est la  morphologie de la plage qui en fait son originalité et surtout sa difficulté d'accès par la mer, la plage comprend :
-l'estran : une bande de 300 m de sable fin avec un très léger dénivelé de 5,4 m  dont la largeur varie selon la marée
-une levée de galets en pente plus raide menant à l'ouest à une digue de mer avec une petite route et des villas et à l'est à une dune ;
-une bande de 200 m plus ou moins de terrains  marécageux par endroits, au pied d'une falaise morte
-rebord de plateau ou falaise morte abrupt, rempli d'herbes et de broussailles,  de 30 m à 50 mètres de haut dominant tout ce qui précède
-le plateau de l'arrière-pays sur lequel se trouvent les  villages .


Ce plateau est accessible depuis la plage par cinq petites vallées encaissées, ou vallons, qui sont les seuls chemins accessibles pour les véhicules pour sortir des plages. Ces entrées sont toutes occupées et défendues  par des WN allemands, certains non terminés.
Les sortie D1  menant à Vierville et la sortie D3 près du hameau des Moulins menant à Saint Laurent possèdent  une vraie une route. La sortie E1 au lieu dit le Ruquet mène à Saint-Laurent par un chemin de terre  comme les deux dernières aboutissant à Colleville (E.3) et au hameau de  Cabourg  (F.1).

L'objectif à Omaha est de s'emparer du littoral et, ensuite, de tenir une tête de pont de huit kilomètres de profondeur entre Port-en-Bessin et la Vire et, dès que possible, de faire la jonction à l'est avec les Britanniques et à l'ouest avec le VIIe Corps américain débarqué à Utah Beach afin d'établir une large  tête de pont continue sur la côte normande.

Quels sont les atouts et inconvénients de cette plage ?

-une morphologie défavorable : une côte sableuse encadrée de hautes falaises (très défendues par les WN, situés au niveau des vallons et aux extrémités de la plage)
-Un large estran (occupé par les milliers d'obstacles allemands)  qui présente des barres sableuses (ligne de brisants  favorisant  vagues et forts courants) qui créent des bâches (creusement de  trous d'eau  à marée haute) donc un réel danger  pour débarquer des soldats surchargés.
-Un cordon de galets qui sera protecteur pour les GI's mais un réel obstacle pour les blindés, avec, en complément, par endroits  un cordon dunaire.
-Au pied du plateau un large espace envahi par endroits par des marais difficilement franchissables d'autant qu'existent barbelés et mines ; les positions allemandes  (mitrailleuses, tobrouk...) sont situées au niveau des entrées des  cinq vallons.
-Un rebord de plateau abrupt difficile à escalader, lui aussi protégé par des barbelés et mines.
-Un plateau calcaire où sont positionnées les défenses allemandes pour  mieux surplomber la plage  et que les Gi's doivent atteindre. Ce plateau sera propice pour stocker le matériel militaire et, ensuite, pour créer des pistes d'aviation

Les difficultés sont donc  réelles.

Comparatif : le profil des autres plages de débarquement
Il est nécessaire de comparer les sites des plages de débarquement, en particulier leur profil, afin de mieux comprendre les spécificités et les problèmes inhérents au choix du site d'Omaha.

Utah : 
Initialement, les Alliés n'avaient pas prévu de débarquer sur les côtes du Cotentin. La proximité du port de Cherbourg et la nécessité de disposer d'une solution de repli au cas où la situation tournerait mal sur les plages du Calvados, décidèrent les responsables du haut commandement allié à ajouter une cinquième plage.

 Utah Beach s'étend de Sainte-Marie-du-Mont jusqu’à Quinéville sur environ 5 km de long, avec une zone d'assaut principal de 2 km à hauteur de Varreville. La vaste plage se trouve sur un cordon littoral adossé à des zones marécageuses. Le débarquement américain sur Utah est précédé d'une opération aéroportée de nuit, afin de contrôler les quelques routes surélevées au travers des marais permettant les sorties de plage et qui permettent d'accéder à la N13

Cette plage, particulièrement propice à un assaut amphibie, verra ses défenses un peu renforcées après que le maréchal Rommel y détecte de nombreuses faiblesses, ainsi, les dunes entre la baie des Veys et Saint-Vaast-la-Hougue seront truffées de nids de mitrailleuses et sur les hauteurs de l'arrière-pays seront aménagées quelques batteries lourdes. Néanmoins cette zone restera moins fortifiée que d'autres zones de la côte normande du fait que les Allemands estimaient que les marais et les zones inondées rendaient difficile un accès à l'intérieur des terres.
En raison d’une erreur de navigation, les premières vagues d’assaut prirent pied à environ 2 kilomètres au sud de l'endroit prévu. Heureuse erreur pour les Alliés puisque les défenses allemandes étaient ici nettement moins redoutables et furent rapidement neutralisées.
Les pertes de la 4e division ne dépassèrent pas les 200 hommes pour la journée du 6 juin mais les troupes aéroportées de la 101° perdirent 40% de leurs effectifs. Plus de 24.000 hommes débarquèrent le jour J


Gold:
 La zone est délimitée par Port-en-Bessin à l'ouest et le hameau de La Rivière à l'est, incluant le village côtier d'Arromanches. À l'ouest, de hautes falaises rendent tout débarquement impossible, obligeant les opérations à se dérouler vers l'est,  sur la plage entre Asnelles (Le Hamel)  et Ver-sur-Mer (La rivière).  La plage débouche sur des terrains marécageux qui donnent sur un arrière-pays plat alternant entre des champs ouverts et du bocage qui se densifie au fur et à mesure de la progression dans les terres. Le terrain s'élève graduellement formant la crête de Meuvaines où des fortifications allemandes sont localisées.
Les bombardement préalables donnent des résultats relativement satisfaisants mais le jour J, la mer est mauvaise ce qui complique le débarquement  anglais qui s'effectue sous la riposte allemande, toutefois les objectifs sont respectés.
Les pertes alliées totales, toutes unités confondues pour les opérations de Gold, se chiffrent à environ 1000-1100 hommes, dont environ 350 tués.
Le soir du jour J environ 25.000 soldats britanniques ont débarqué.


Juno :
Juno, plage canadienne, s'étend sur 8 km, entre les secteurs Sword Beach et Gold Beach, depuis Saint-Aubin-sur-Mer à l'est jusqu'à Ver-sur-Mer à l'Ouest. Le profil de la plage est identique au secteur de débarquement de   Gold, ce qui est  différend, c'est la présence de dangereux récifs côtiers uniquement franchissables à marée haute. Les forces canadiennes sont épaulées par des troupes commandos britanniques
Le débarquement initial rencontre une vive résistance allemande, les bombardements préliminaires n'ayant pas été aussi efficaces qu'espéré et le mauvais temps forçant la première vague à retarder son débarquement. Les premières vagues subissent de lourdes pertes, il faudra l'arrivée des blindés amphibies pour que la situation s'améliore.
Les pertes pour Juno Beach s'établissaient à 1200 hommes.


Sword:
Cette plage est attribuée à la Seconde armée britannique accompagnée des commandos français. C'est la plage de débarquement la plus à l'est, située à environ 15 km de Caen qui s'étend sur 8 km de Ouistreham à Saint-Aubin-sur-Mer.
En raison des bancs de sable et des récifs côtiers, devant Lion et Luc-sur-Mer, ainsi que l'importance des défenses allemandes à Riva-Bella qui protègent l'embouchure de l'Orne et son canal, l'attaque a finalement lieu sur un front assez étroit devant Hermanville au lieu dit la « Brèche » .
Les parachutistes britanniques de la 6e aéroportée ont préalablement détruit les batteries de Merville et tiennent déjà les ponts sur l’Orne. Les chars amphibies Sherman DD mis à l'eau dans une mer agitée, pourront atteindre le rivage et assurer une protection à l'infanterie qui commence à débarquer.
La journée finit pour les Britanniques avec 30 000 hommes débarqués et des pertes de 700 hommes.

Les troupes d'assaut débarquèrent sur 5 plages bien défendues  par les défenses allemandes (WN ou Widerstandnesten ou point d'appui), toutefois les conditions naturelles différaient selon les lieux. Seule la plage d'Omaha présente un profil particulièrement risqué avec des défenses allemandes implantées sur le rebord du plateau qui domine la plage. Ce lieu de débarquement, choisi dés le départ, était une nécessité et le commandement connaissait les difficultés inhérentes. C'est pour cela que le bombardement préliminaire était d'une importance capitale, plus qu'en tout lieu.
Il rata et les GI's le payèrent chèrement.


Pessimisme !
Le général Gerow fut désigné comme chef des forces terrestres  lancées sur les plages du 6 juin, il devait préparer l'assaut. C'était un homme  qui manquait de charisme, austère, qui n'avait jamais été au combat malgré ses 56 ans. mais c'était un ami de d'Eisenhower. Les manœuvres préparatoires au printemps 1944 furent décevantes et rendit Gerow pessimiste d'autant  qu'il connaissait l'échec de Gallipoli le 25 avril  1915  :  un débarquement raté, dans des conditions similaires,  dans le détroit des Dardanelles contre l'Empire ottoman, se solda par un échec cinglant et la mort de 250.000 hommes côté allié. Initié par Churchill, celui disait " Plus jamais ça". Il craignait aussi  que le débarquement prévu par les Américains n'envoie à nouveau des milliers de jeunes soldats à la mort. Les autres débarquements américains ( lire l'article)  que ce soit en Afrique du Nord,  en Sicile, en Italie ou dans le Pacifique (Tarawa) n'incitaient pas non plus à  l'optimisme, aussi fallait-il approfondir la réflexion, s'assurer d'une préparation exemplaire.
" Nos soldats seront coincés sur  la plage par des obstacles qu'ils devront affronter, et en plein jour" (Gerow- 1943)
Lors de la conférence de Téhéran, le général Marshall indiquait qu'un échec serait non pas "un revers mais une catastrophe",  le maréchal  russe Vorochilov lui répondit :" Si vous y croyez vous y  parviendrez !...  les positions ennemies doivent d'abord être détruites par le feu de l'artillerie et les bombardements aériens : si le débarquement est mené de cette façon, ce sera un brillant succès au lieu d'une catastrophe"
Ce qui devait se faire :  un raid aérien sans précèdent accompagné d'un bombardement naval
En fait, comme l'indique le LT Colonel L Chase " Plus facile à dire qu'à faire !"


Optimisme !
Les américains bien renseignés savaient que seul  un bataillon allemand était présent soit  moins de 10.000 hommes sur les 6 km de plage et que les défenses du mur de l'atlantique n'étaient pas  terminées. Toutefois des fortifications sur la plage et en hauteur existaient : champs de mines, fossés et murs antichars,  Wn bétonnés.... Mais   les soldats de la 716° division allemande  était constituée de soldats non allemands (originaires de l'Europe de l'Est conquise par Hitler) peu enthousiastes. La supériorité numérique d'hommes enthousiastes devait  à elle seule l'emporter.
Pour  se dégager des obstacles de plages et autres constructions et fortifications, il fut décidé de faire intervenir le "génie" dans une proportion inédite : 12 bataillons soit 10.000 sapeurs qui arriveraient dans les premières minutes pour nettoyer la plage avec un équipement puissant : torpilles bangalore, lance-flammes,  cisailles, charges de démolition de TNT et accompagné de tankdozers.
Gerow rassuré indique en mai 1944 " Les bombardements détruiront en partie les défenses mais elles devront finalement être réduites par des équipes d'infanterie de choc"


Les meilleurs régiments 
Le haut commandement insista  pour que l'entraînement soit le plus poussé possible et que des vétérans de l'Afrique du Nord et de Sicile  soient présents, même s'ils n 'avaient pas besoin d'une lise à niveau, leur expérience leur suffisant ! " Vous avez toutes les qualités pour faire ce boulot" leur dit Eisenhower.
L'assaut de la plage d'Omaha a été confié au Ve corps US (lieutenant général Gerow) qui comprend trois divisions d'infanterie (les 1re, 2e et 29e), une division blindée (la 2e Tk Div), deux bataillons de rangers, des unités du génie et diverses unités d'appui. La 2e division d'infanterie et la 2e division blindée débarqueront dans les jours qui suivent le 6 juin.
Le débarquement sera exécuté  à l'ouest, par le 116 RCT de la 29e division (major général Gerhardt) dont ce sera le premier engagement  mais avec des hommes parfaitement entraînés et endurcis " Twenty-nine let'sgo!"et  à l'est, par le 16 RCT de la 1ère division (major général Huebner) composé de vétérans des campagnes d'Afrique du Nord et de Sicile, donc des hommes expérimentés. Les missions les pus périlleuses  échouèrent aux Rangers (Pointe du Hoc).




Toutes les conditions sont réunies pour faire de ce lieu improbable pour débarquer et de cette bataille à l'issue très  incertaine un évènement hors du commun.
Il fallait vraiment être optimiste pour croire  à la réussite  malgré les risques évidents :  le courage extraordinaire des Gi's a permis de se sortir d'une situation compromise déjà par les échecs des préliminaires. Tout pour amplifier un mythe.