Le cinéma

Le cinéma peut-il rendre compte de la réalité et de la vérité de la guerre ?

Parmi tous les réalisateurs américains de films sur la deuxième guerre mondiale, seul le cinéaste  Samuel Fuller a vécu le débarquement  (et son acteur Lee Marvin, dans le Pacifique) lui seul donc peut s'exprimer, à ce propos, pour nous faire réfléchir :

Samuel Fuller, cinéaste américain et  vétéran de la Big Red One ayant débarqué à Omaha le 6 juin:

"De quel débarquement voulez-vous que je vous parle ? Afrique, Sicile ? Normandie ?"

Qu'est-ce qu'un bon film de guerre ? : 

"Un film qui cultive la dignité et non qui pousse au voyeurisme. La guerre, c'est pas du cinéma. Il faudrait que des coups de feu véritables soient tirés dans la salle de cinéma pour que les spectateurs approchent la sensation de terreur que la guerre engendre." 

"Il est impossible de mettre en scène le débarquement du 6 juin 1944 puisqu'on ne peut décemment filmer des mètres d'intestins sur  une plage"

"Ce fut une bataille très dure. Impossible de décrire ce cauchemar. Dans les films de guerre, il y a trop de sang et on sait que c'est faux. Dans mon film, «The Big Red One », je n'ai pas pu filmer ce qui s'est réellement passé sur la plage car, en réalité, il n'est pas possible de filmer cette horreur-là. Et il ne faut pas mentir dans ces cas-là. La chose la plus importante que je veux dire ici, ce n'est pas tellement la manière de tuer ou de survivre. C'est qu'on fait partie de quelque chose que les gens ne peuvent pas comprendre, qui s'appelle la guerre : c'est une folie complètement organisée."



Olivier Giesbert, écrivain français évoque son père, GI ayant débarqué à Omaha le 6 juin  dans le roman autobiographique "L'américain" qui  nous offre des pages terribles évoquant le débarquement  de son père. Retenons son propos sur le cinéma :

"Un soir  nous avions décidé, maman et moi, d'aller voir, en dépit de ses objurgations, "Le jour le plus long" de Zanuck  au Studio Venise d'Elbeuf. Alors que nous étions sur le pas de la porte, il avait tenté une dernière fois de nous dissuader :
-On ne devrait pas avoir le droit de montrer le débarquement au cinéma. C'est indécent.
-Mais c'est l'Histoire, dis-je. Presque de l'histoire ancienne.
-Non, c'est du blasphème envers tous ceux qui sont morts au combat. Un film ne dira jamais la vérité : pendant le débarquement, on se chiait et on se pissait dessus de trouille. Oui, tous. Moi compris"
... J'ai  compris ce soir là  que mon père était mort le jour du débarquement. Bien sûr, cela ne l'empêchait pas de vivre..."


Bernard Dargols, GI franco-américain : "Pour moi, la guerre n’est pas un roman qu’on lit dans un bouquin. Ni un film tourné à Hollywood. C’est un truc terrible…"

Le débarquement, ce n'est vraiment pas du cinéma.

Le cinéma ne peut que trahir et travestir la vérité  historique parce que son but  est de montrer un spectacle rempli d'émotion, de drames et de suspens. Cela se réalise par
-par la forme (artifices de cadrage, mise en scène, montage, esthétique...)  qui implique des choix, des points de vue
-par le choix  et le jeu des acteurs : des stars (distributions souvent impressionnantes) mises en valeur à chaque plan qui doivent capter et séduire  un public qui les attend
-par la structure : assemblage de scènes qui montrent tous les protagonistes (américains, allemands, français...) en temps réel afin de multiplier les points de vue et donner l'illusion de réalisme et donc de vérité
-par la présence de musique, bruitage, de voix des acteurs dans les diverses langues pour donner l'illusion du réel
-par les décors spectaculaires mais faux : images fantaisistes, artificielles tant les lieux de tournage sont loin de la réalité mais bien masqués par les cadrages
-par l'impossibilité de montrer une vérité qui n'est pas "unique mais fragmentaire et multiple" ; il faudrait de multiples films pour essayer d'approcher une vision proche de la réalité dans une scène, d'autant qu'il n'existe pas de références en dehors des rares  photos de Capa.
-par des trahisons  qui dissimulent les vérités historiques reconstruites ou les embellissent, souvent assumées par le réalisateur comme Zanuck qui indique 
"le message que doit percevoir le spectateur est celui de la vérité historique: non seulement vous allez voir le plus grand film de guerre de toute l’histoire du cinéma, mais ce que vous verrez est authentique"



Le débarquement : un sujet cinématographique idéal





En  2014, le Figaro titre "D-Day : le débarquement en 10 films culte" et réalise un sondage : votre film préféré du D Day !
Ouest France publie un ouvrage "Hors série" de qualité " Le débarquement au cinéma" avec plus de 50 films présentés.

En effet, un  réalisateur  peut-il rêver d'un scénario plus épique?  un affrontement international, les éléments terre-air-mer réunis à l'écran,  des sites grandioses entourés  d'une ligne infranchissable, le Mur de l'Atlantique,  des stratèges brillants qui s'affrontent : Eisnhower et Rommel, des  milliers de héros issus d'horizons variés, GI's courageux (Omaha), des exploits (Pointe du Hoc, casino de Ouistreham), des marins et des parachutistes (clocher de Sainte Mère), un port mythique (Arromanches), même de  courageux  français (résistants, commando Kieffer), au final, la victoire mais aussi  des morts (cimetière de Colleville). Tout pour faire un film de guerre spectaculaire avec tous les ingrédients pour dramatiser aussi bien des actions individuelles que générales, avec le moment fort que tout le mode attend : le débarquement dans le sang à Omaha.

Ce D-Day devient  une épopée, trame idéale pour les cinéastes après la guerre, un  source inépuisable d'inspiration pour les scénaristes.
Trois films de référence émergent, ils nous serviront de support  en tant que film de guerre car ils traitent tous  du débarquement et  reconstituent "Omaha"

-"Le Jour le plus long" de Zanuck  en 1962, premier film américain à évoquer le débarquement en Normandie 
-"Au delà de la gloire" de Samuel Fuller (1980)
- "Il faut sauver le soldat Ryan" de Spielberg (1998)

 Mais il existe une quantité d'autres films (une centaine ?)  qui traitent du sujet  sous diverses  formes: 
-docu-fiction, reconstitution historique avec "le 6 juin à l'aube" de J Grémillon (1946) premier film méconnu et "Au delà de la gloire" de Samuel Fuller (1980) film terrible sur la violence de la guerre vécue par le réalisateur.
- hommage... à la résistance "La Bataille du rail" de René Clément en 1946 qui prend beaucoup de liberté avec l'histoire à Paris avec "Paris brûle-t-il" (1966) de R Clément fresque pompeuse bien mise en scène avec une super distribution

- biographie avec "Patton" (1970) et "Rommel" (2012), "le guerrier d'Hitler"
- tragique avec "Far Away"(2011),  et "Les Femmes de l'ombre"(2008)
- humour, comédie comique avec "Le Mur de l'Atlantique" (1970) et la série de la  "La Septième compagnie" (3 films en 1973/75/77) avec beaucoup d'entorses à l'histoire, et même parfois de la vulgarité pour des héros franchouillards 
-intimiste : les films de Lelouch ("Les Misérables", "Mariage") et  "5 jours en Juin" 1989 de Michel Legrand
-prémonitoire..."Un singe en hiver" (1962) , Jean Gabin décide d'arrêter de boire. C'était la fin d'un monde et l'avènement d'un nouveau.
 -série américaine à grand spectacle "Band  of brothers"(2001)  de Tom Hanks


Sont-ils de  bons films de guerre ?


"Au dela de la gloire" de Samuel Fuller (1980)
Voir la présentation de Wikipédia

Le film suit l’avancée des troupes américaines, en fait un groupe de soldats de la 1ère DI US, (The Big Red One) depuis le débarquement en Afrique du Nord jusqu’à la libération des camps en Tchécoslovaquie


Histoire du film 
Samuel Fuller a le projet de porter à l’écran ses souvenirs de guerre. Il ne veut pas restituer l’horreur de la guerre et écrit une fiction qui sans budget suffisant n'aura pas une une ampleur spectaculaire. Fuller choisit un style intimiste et concentre son propos sur un groupe de quatre hommes commandés par un sergent. Fuller, “raconte des vies fictives inspirées par des morts réelles”. 
D'ailleurs, aucun des long-métrages de Samuel Fuller n’adaptent un fait réel.

La vision d'Omaha
Le débarquement à Omaha à mi-film, est la plus longue des trois séquences consacrées aux débarquements, près de 8 minutes.  Fuller n’a pas les moyens de montrer l'ampleur du débarquement  :  les fortifications  allemandes sont peu  visibles, un même plan sur un seul navire est utilisé à plusieurs reprises pour représenter l’ensemble de la flotte. Le réalisme  est  atteint  en montrant  la progression des GI's dans une eau rouge de sang, pris sous le feu ennemi, incapables d’avancer ou de reculer, filmée en plans serrés et en gros plans. Certains plans sont la reproduction des photos de Capa. Instabilité de l’image et confusion sonore plongent le spectateur au cœur de l’action et le  rapproche de l’action.. À plusieurs reprises on voit une montre au bras d’un soldat flottant dans l’eau,  destiné à suggérer l’horreur d’une guerre que Fuller ne veut pas ou ne peut pas montrer à l’écran.

La percée des défenses ennemies, est l’un des moments les plus intenses du film car il faut se frayer un passage dans des barbelés. Fuller fait renaître à l’écran ce qu’il vit à Omaha. Il revint à Fuller d’informer le colonel Taylor qu’une brèche avait été faite et c’est à ce moment là que le colonel fit sa célèbre déclaration:
"There are two kinds of men out here!. The dead! And those who are about to die! So let’s get the hell off this beach and at least die inland."

Fuller parvient à restituer avec une grande justesse de ton, la peur, le sentiment de solidarité, l’absence de repères, la frontière fragile entre courage et couardise.
Malheureusement, le film actuel  ne correspond pas au projet initial de Fuller. Après un premier montage, The Big Red One durait 6 heures puis fut  réduit à 4h 30 et la version commercialisée à 1h 53.

"Le Jour le plus long" de Zanuck
Voir la présentation  sur Wikipédia qui liste erreurs et approximations...



Ce film traite du  déroulement global du Jour J  : préparatifs, scènes de guerre en plan large, dialogues militaires...avec des effets loupes sur des épisodes secondaires qui n'ont eu aucun impact sur la victoire mais qui sont devenus (par ce film)  aujourd'hui des moments et lieux cultes du débarquement : Pointe du Hoc, clocher de Sainte mère, casino  de Ouistreham, Pégasus Bridge à Bénouville.

Histoire du film 
Zanuck, décide d’adapter à l’écran le best-seller de Cornelius Ryan (1959), The Longest Day. Producteur indépendant, il a le dessein de réaliser un film de guerre authentique Il veut s’assurer la collaboration de Cornelius Ryan et lui propose un contrat mirifique. Très vite Zanuck comprend qu’il ne pourra pas travailler avec Ryan qui ne supporte pas que l’on trahisse son œuvre.

En fait, le récit de Ryan n’est pas de nature historique :d'ailleurs il n'est pas historien, ne consulte pas les  archives et se contente de  donner la parole aux différents acteurs et met en scène une réalité qui s’appuie sur une multiplicité de points de vue. Le résultat est un habile assemblage qui s’appuie sur des faits authentiques, mais c’est une reconstruction, une représentation.

L’adaptation de cet ouvrage au cinéma implique des choix, une dramatisation et, fatalement, une trahison, assumée par Zanuck, mais soigneusement dissimulée au spectateur qui va voir le plus grand film authentique, de guerre de toute l’histoire du cinéma,

C’est d’ailleurs ce qui justifie la présence de conseillers militaires au générique du film. Ils sont les garants de la vérité historique. Le choix du noir et blanc, choix dicté par des impératifs financiers, vient renforcer cet effet de réel comparable aux actualités de l’époque.

 Les scènes du débarquement seront filmées en Corse avec la participation de la 6e flotte. Les autres lieux de tournage seront la Normandie, l’île de Ré et les Studios de Boulogne-Billancourt. Fait rare au tout début des années 60, le film va sortir en version originale, respectant ainsi la langue de tous les participants. Puisque les voix sont vraies, il n’y a pas de raison de douter du reste: les images “parlent vrai.” avec les stéréotypes : décontraction de l’Américain, flegme anglais, arrogance de l’Allemand, panache ou roublardise du Français. Filmer avec réalisme (cris, corps mutilés, sang) n’aurait pas été conforme aux stéréotypes de la guerre à l’écran en 1960 et, passer outre, aurait été une erreur commerciale impardonnable.

Ce film est  détesté par les historiens, en effet,  simplifications, exagérations
faits erronés, exagérations, approximations volontaires, accessoires ou matériels anachroniques, décor fantaisiste le transforment en une "mémoire de pacotille" dont le parachutiste du clocher de Sainte Mère,  la prise du casino de Ouistreham par le commando Kieffer, la cornemuse de Bill Millin sur Pegasus Bridge en sont  les aspects les plus significatifs

Le débarquement, transformé, arrangé, mythifié à l’écran, dans les années 60, est un gage de succès au box-office.



La vision d'Omaha

Le jour le plus long  présente les trois phases préliminaires du débarquement  : l’attente, la nuit, le jour.  Pour accentuer l'intensité dramatique des  morceaux de bravoure  sont présentés, ainsi pour Omaha où se joue l'affrontement décisif et final,  : l’arrivée sur la plage (ridiculisée  par les cris de guerre), Cota qui mène l'assaut sur la plage avec ses hommes qui utilisent les torpilles bangalores pour avancer, la conquête de la Pointe du Hoc, le dynamitage du mur de béton sur la plage d’Omaha (pure invention de Zanuck). Alors que Utah, Gold, Juno et Sword ont droit à une séquence chacune, Omaha est traitée en quatre séquences.  Toutefois partout la mort est tenue à distance, des silhouettes s’effondrent dans le sable en silence, les blessés ne gémissent pas,  le sang ne coule pas, la douleur est absente de l’image et du son. Une vision bien aseptisée.
A la décharge de Zanuck,  le film bénéficie d'un prêt (collaboration du Pentagone pour le prêt de matériel et personnel) à condition "d'atténuer et minimiser la dramatisation des morts individuelles, d'éviter les bains de sang". D'ailleurs  une scène de la pointe du Hoc sera incriminée mais finalement conservée malgré le reproches du pentagone "une scène contestable" (des soldats allemands qui se rendent mais sont abattus par des GI's qui ne comprennent pas les paroles allemandes)

Comme beaucoup de films, le jour le plus long constitue, surtout dans le contexte de la guerre froide, une célébration des valeurs libérales, du respect de la hiérarchie militaire, de la solidarité et du sacrifice commun



"Il faut sauver le soldat Ryan" 
 de Spielberg (1998)
Voir la présentation sur Wikipédia

Il s'agit d'un film de guerre et d'action dramatique inspiré de l'histoire vraie et atypique des frères Niland. Toutefois ce sont les 22 premières minutes du film qui reconstituent l'assaut "réaliste" des GI's;de la plage d'Omaha qui en fit la réputation. En effet des images saisissantes accompagnées d'effets visuels et sonores plongent le spectateur dans l'horreur de la tragédie de cette bataille, ce qui la mythifie encore plus



Histoire du film

Steven Spielberg, né en 1947, n’a pas connu la guerre, mais les récits de son père, qui débarqua en Normandie  ont bercé son enfance, il s’est constitué sa propre mythologie, entre nostalgie, cauchemar, héroïsme. La fascination de Spielberg pour la deuxième guerre mondiale se retrouve dans ses œuvres plus légères comme la trilogie des aventures d’Indiana Jones mais surtout dans son œuvre majeure :La Liste de Schindler, 1993

Il faut sauver le soldat Ryan est un projet qui lui tient particulièrement à cœur d'autant qu'il a son indépendance financière. et qu'il assume ses choix narratifs ou esthétiques, indifférent aux impératifs commerciaux.


La vision d'Omaha



 La désormais célèbre séquence du débarquement à Omaha a été tournée en quatre semaines sur une plage d’Irlande. De nombreuses péniches - les ‘Higgins boats’ - rescapées du débarquement de 1944 furent utilisées ainsi que 750 soldats de l’armée irlandaise.
Spielberg filme la séquence dans sa continuité, accompagnant les hommes en un mouvement saccadé au ras de l’eau, au ras du sable tandis que sifflent les balles sans avoir recours à un story-board et s' approche de l’improvisation.

Le spectateur devient   prisonnier sur la plage, pris entre le feu de l’ennemi et la marée humaine que les péniches ne cessent de déverser. Plans réalistes sans complaisance sur les blessés : un homme ramasse son bras, un autre hurle de douleur, les tripes à l’air, un visage déchiqueté par une balle. Le chaos, la fiction est  perçue comme réalité.

Progressivement  le spectateur identifie un groupe d’hommes emmené par le capitaine Miller (Tom Hanks). L’ennemi  mitraille les plages méthodiquement des silhouettes anonymes. Spielberg reprend l’épisode de la percée des défenses ennemies,en  
utilisant des "bangalores", morceau de bravoure puis l’assaut du bunker.
La bande-son, pourtant riche et diversifiée,  est dépouillée de tout effet inutile.  
Deux séquences prises sous l’eau font monter l’intensité d’un cran  : le sifflement des balles est atténué, mais le sang gicle et “teint la mer d’un rouge écarlate”. Lorsque les soldats  parviennent à échapper à l’enfer sous l’eau, ils se retrouvent sur la plage sous la mitraille : verticalité et horizontalité également meurtrières enserrent le destin des hommes.
La fin de la séquence est amorcée par  un plan d’ensemble sur la plage, la caméra s’attarde sur le  soldat  Ryan S. Désormais la fiction reprend ses droits.
La séquence du débarquement est devenue un extraordinaire morceau d’anthologie. Les spectateurs, de même que la critique, en ont salué le réalisme. Mais le film a été en quelque sorte victime du succès de cette séquence qui semble avoir éclipsé d’autres moments du film.
En particulier le prologue élégia
que avec le drapeau éclairé, la scène de recueillement, la solitude du ‘vétéran’ face à la douleur remémorée. Spielberg rendre hommage, assume son rôle de chroniqueur des valeurs américaines 


Les historiens et le cinéma
 Antony B
eevor :  "Les vingt premières minutes de ce film sont très réalistes et impressionnantes, mais, pour le reste... Il y a quelques années, Newsweek m'avait demandé un article à ce sujet. Ce que j'ai écrit a tellement surpris qu'il a été décidé de ne pas me publier. C'est un catalogue de clichés hollywoodiens: le lâche devient d'un coup très courageux, le cynique commence à pleurer... Cela dit, on ne peut attendre du cinéma qu'il respecte les critères de l'Histoire."
"
Le cinéma peut produire auprès du public une confusion entre le fait (fact)  et la fiction puisq'on y puise son inspiration, jusqu' à déboucher  sur une genre hybride "la faction".

Dominique Briand :  "Le traitement de l'évènement par le cinéma qui le présente "américanisé", "omahaïsé"  fabrique une certaine vision de l'histoire". "Il faut corriger les conceptions des visiteurs qui restent encore sur les plages normandes avec  dans le rêve éveillé ou plutôt le cauchemar,  que la 7° art a su produire."

Jean Quellien :"Les contrevérités historiques qui circulent depuis plusieurs années viennent en très très grande partie d'un film que tout un chacun a vu et revu qui est "Le jour le plus long", qui est pour un historien une véritable horreur L’impact du film est d’avoir pollué les mémoires. Depuis qu’il est sorti, tout le monde a répété ce genre de légende". 
"Ce que je reproche  finalement le plus  au film, c'est son colossal succès, 11 millions de spectateurs et une foule de rediffusions télé. Le film a forgé, pour des générations, des mythes, des légendes et acquis une dimension historique à laquelle il ne peut pas prétendre."
"Zanuck a fait un show, pas un film d'histoire, avec à chaque séquence l'apparition à l'écran d'un acteur connu. La fidélité avec l'histoire est accessoire"



Parmi ces contrevérités démontées par l'historien, certaines relèvent de l'anecdote comme l'histoire du parachutiste accroché au clocher de Sainte-Mère-Eglise, d'autres sont essentielles à la compréhension de l'histoire comme l'opposition de De Gaulle à l'implantation d'un gouvernement américain en France ou le rôle du port artificiel d'Arromanches.


Dans le viseur de Jean Quellien

Sainte-Mère-Eglise et du para américain resté accroché au clocher de l’église.
« Qui ne connaît l’histoire de John Steele, ce parachutiste de la 82e Airborne », interroge Jean Quellien. « Pourtant, un autre parachutiste est tombé sur l’église. Il s’appelait Ken Russell. Et il est formel : les deux hommes se sont retrouvés accrochés du côté de la petite rue et pas du côté de la place. Dans le film, on voit Steele qui assiste au massacre de ses camarades. Or, il ne pouvait pas voir les combats du côté où il était. Devenu un héros, Steele n’a jamais remis en cause cette version ». Ce fait, ignoré dans le film de Darryl Zanuck, l’est aussi du grand public.

Le port artificiel d’Arromanches. 
Le port artificiel d’Arromanches. Souvent présenté comme une des clés de la réussite du Débarquement, le port artificiel construit le 7 juin n’a finalement pas eu l’impact que lui prêtent les livres d’histoire. « Le port artificiel d’Arromanches ne représente même pas la moitié du trafic anglais. C’est 15 % du trafic anglais lors du Débarquement. Omaha Beach, privée de son port artificiel, représente deux fois le trafic d’Arromanches. Les Américains, plus pragmatiques que les Anglais, sont revenus à des méthodes moins sophistiquées », explique l’historien Jean Quellien. Contrairement au port « Mulberry A » de Saint-Laurent-sur-Mer, sur Omaha, le « Mulberry B » édifié devant Arromanches n’a pas été détruit par la tempête du 19 au 22 juin 1944. Alors que les navires LST (landing ship tank) – avec leur fond plat et leur étrave ouvrante – ont permis de débarquer 13 500 tonnes de matériel par jours directement sur les plages lors de la dernière semaine de juin 1944, Arromanches n’a permis de débarquer que 3 500 tonnes de matériel en moyenne durant la même période.


Pas de « Stalingrad » en Normandie
« En réalité, les armées allemandes n’ont pas été détruites comme on l’a souvent dit et écrit. Sur l’ensemble des troupes menacées d’encerclement vers la mi-août, les deux tiers ont réussi à échapper au piège. La comparaison avec Stalingrad est abusive », explique Jean Quellien.
Il n’en reste pas moins que la Poche de Falaise a été un des « Plus grands champs de tuerie qu’aucun secteur de la guerre eût jamais connu », témoignait le général d’armée américain Eisenhower. Le 22 août au matin, la Bataille de Normandie est terminée. « La Bataille de Normandie est terminée, certes, mais la bataille en Normandie continue. La Basse-Normandie devait être libérée en trois semaines, il en faudra douze ».

La Pointe du Hoc, à Cricqueville-en-Bessin.
 « La grande question, c’est pourquoi les Américains ont donné l’assaut ». Les Allemands avaient positionné 6 canons à la Pointe du Hoc, un éperon rocheux qui s’avance dans la mer, situé sur le territoire de Cricqueville-en-Bessin. L’un des canons a été détruit par l’aviation le 15 avril. Les cinq autres ont été reculés à l’intérieur des terres. « Ce déménagement nocturne ne passe pas inaperçu. La résistance locale est alertée par les habitants d’une ferme », indique Jean Quellien. L’information parvient à Guillaume Mercader, responsable du réseau de résistance Centurie pour le Bessin. Le futur directeur du journal La Renaissance (de 1968 à 1980) estime que l’information est capitale. Elle est transmise aux alliés. « Ils décident de maintenir l’opération qui doit être conduite par un major. Ce dernier sait qu’il va envoyer ses hommes à la mort pour rien et - alcoolisé - il commence à l’ébruiter. Il est relevé par le lieutenant-colonel Rudder lui-même ». 200 rangers se lancent sous son commandement à l’assaut de la Pointe du Hoc. « L’opération n’a pas été inutile comme on l’a parfois dit puisque les canons avaient été remontés en position de tir ».


Omaha Beach. 
La plage bordant Vierville-sur-Mer, Saint-Laurent-sur-Mer, Colleville-sur-Mer et Sainte-Honorine-des-Pertes n’a pas volé son surnom d’Omaha la sanglante. A Omaha, les pertes (blessés, tués et portés disparus) ont été plus importantes que ce que l’on en a dit (3 000). « Tout s’est conjugué pour que ce soit un carnage : 4 000 hommes perdus. L’endroit ressemble à un piège, avec les falaises d’un côté, la mer démontée de l’autre. 35 000 hommes ont débarqué en plusieurs vagues sur une plage parsemée de défenses. Les Allemands sont quelques centaines, bien distribués sur la falaise, en position de force », souligne Jean Quellien.

8 000 morts dans le Calvados
Le mardi 6 juin 1944 marque le début de la reconquête de la liberté de l’Europe. Et celui du martyre de la population normande à la merci des bombardements alliés et des tirs de l’artillerie de marine destinés à chasser l’ennemi ou éteindre les poches de résistance « comme à Trévières ou à Isigny. Leurs obus disloquaient toute contre-attaque ». La Bataille de Normandie, c’est 8 000 morts civils dans le Calvados, 20 000 en Normandie. « C’est la seule population française à avoir souffert autant », souligne Jean Quellien. « Au cœur de la bataille, on compte 2 millions de soldats alliés et un 500 000 Allemands alors que la Normandie compte un million d’habitants ».


Conclusion:
-Peut-on rendre compte de la réalité du débarquement sans trahir, travestir. Quelles sont les sources visuelles ? Les rares photos de Capa à Omaha Beach, dont seules 10 (sur 72) sont  publiées dans Life le 19 juin 1944, celles que la mémoire collective a retenu, représentant la première vague d'assaut dans les vagues. Les autres vues plus générales de la plage sont rarement représentées.

Les  films d'archives américaines, sont rares surtout pour le 6 juin, toutefois ils existent et  nous en présentons 38. Récemment ARTE a diffusé un document exceptionnel et incontournable qui démystifie ces archives  :1944. Les images du Jour J | Mystères d'archives.Quel réalisateur de cinéma s'est réellement inspiré de documents d'archives pour son film ? 


Déjà la réalisation d'un film implique des choix  d'acteurs (stars), de lieux de tournage, de cadrage, de mise en scène, de montage qui  tronquent  même une bonne volonté. Faut-il représenter le sang, la souffrance, la peur, en un mot, tl'horreur de la guerre ? Il y a donc de multiples représentations de ce débarquement : fragmentaire,  documentaire, réaliste, aseptisé...

-Aussi a-t-on trois visions d'Omaha : 
Spielberg  présente un combat confus où  la mort est omniprésente.  Le réalisme est fort, le débarquement d'Omaha Beach est cru, dramatique, sanglant, insoutenable, inhumain.. .
Fuller présente un  débarquement  réduit au strict minimum par raison budgétaire. Sept hommes meurent les uns après les autres en tentant de percer une brèche dans des fers barbelés jusqu'à ce que l'un deux réussisse. 
Zanuck présente des morceaux de bravoure  bien aseptisés et surtout bien inventés comme   le dynamitage du mur de béton sur la plage d’Omaha.

-la représentation du débarquement pour le grand public est associé aux  deux super productions qui mythifient et américanisent le débarquement. La fréquentation touristique actuelle le montre : que recherche-t-on aujourd'hui ? au cimetière de Colleville, les frères Ryan, à Sainte Mère, le clocher avec son parachutiste, ... en fait, clichés et  anecdotes du débarquement mis en valeur par le cinéma américain.

Nota : les parties  intitulées "Histoire du film" sont  extraites ou résumées de Jacques Lefebvre  :  "À l’assaut du réel: images du débarquement du 6 juin 1944"



COMPLEMENTS


Reflexion sur le cinema et le debarquement
-L’influence de la fiction américaine sur le récit télévisuel français du débarquement de Normandie: "Du Jour le plus long au Soldat Ryan" de  Muriel de la Souchère https://journals.openedition.org/communication/4892

-Jacques Lefebvre :  "À l’assaut du réel: images du débarquement du 6 juin 1944" http://revel.unice.fr/cycnos/index.html?id=365

-Cinéma et propagande aux USA https://www.infoguerre.fr/fichiers/hollywood_propagande.pdf

Samuel Fuller
https://www.parismatch.com/Actu/International/Debarquement-normandie-Kill-nazis-Kill-nazis-567369
https://revusetcorriges.net/2018/02/04/au-dela-de-lhistoire-the-big-red-one-de-samuel-fuller/
https://revusetcorriges.net/2018/01/02/samuel-fuller-sans-espoir-de-retour/

https://cscottrollins.blogspot.com/2012/10/samuel-fuller-from-omaha-beach-to.html
https://next.liberation.fr/cinema/2018/01/05/samuel-fuller-histoires-de-la-violence_1620641
https://www.liberation.fr/medias/1995/06/09/planete-20h35-un-americain-en-normandie-50-ans-apresde-bruit-et-de-fuller-sur-le-sable-d-omaha-beach_135084 https://www.lexpress.fr/informations/samuel-fuller-allez-mourir-plus-loin_607410.html


Analyse de films
Ryan
https://www.dday-overlord.com/filmographie/il-faut-sauver-le-soldat-ryan
https://www.dday-overlord.com/filmographie/le-jour-le-plus-long
http://www.ac-grenoble.fr/webcurie/pedagogie/histgeo/jpm_film/1STG2_ryan.pdf

Jour le plus long
https://www.cinemalux.org/spip/IMG/pdf/infos_le_jour_le_plus_long.pdf
http://corseimagesethistoire.over-blog.com/2016/12/le-jour-le-plus-long.html
http://www.histoirenormande.fr/le-jour-le-long-tournage-film-histoire-normandie
https://www.rts.ch/info/culture/cinema/8704243--le-jour-le-plus-long-epique-superproduction.html
http://www.erreursdefilms.com/guerre/voir-toutes-les-erreurs-film-Jour-le-plus-long,-Le-JRLG-p2.html
http://www.benoitrondeau.com/?s=jour+le+plus+long
https://cinephagemaniac.blogspot.com/2014/06/le-jour-le-plus-long-d-day.html


Paris brûle-t-il ?
http://www.courte-focale.fr/cinema/analyses/paris-brule-t-il/

Divers
http://stephane.delogu.pagesperso-orange.fr/cinema.html
http://canabae.enseigne.ac-lyon.fr/spip/IMG/ppt/Le_debarquement_en_Normandie_vu_par_deux_films.ppt
http://collegebarbot-arts.over-blog.com/article-fiche-analyse-comparative-soldat-ryan-jour-le-plus-long-69454809.html
http://www.histogames.com/HTML/news/2014/juin/017-le-6-juin-sur-grands-et-petits-ecrans.php



Trahisons et vérités dans le cinéma...

Jean Quellien
https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/jean-quellien-pour-un-historien-le-film-le-jour-le-plus-long-est-une-veritable-horreur-813317.html 

https://actu.fr/normandie/bayeux_14047/lhistorien-jean-quellien-retablit-certaines-verites-sur-le-d-day_1790590.html

Sainte Mère et son clocher
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-veritable-histoire-du-gi-suspendu-au-clocher-de-sainte-mere-eglise_1547155.html
http://www.rfi.fr/france/20140604-exploit-conteste-parachutiste-celebre-debarquement-sainte-mere-eglise-day-steele
https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Steele

Bill Billin
https://caen.maville.com/actu/actudet_--bill-millin-un-symbole-fort-du-debarquement-_4-1480487_actu.Htm

Kieffer des héros ordinaires
http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/05/08/01001-20080508ARTFIG00010-un-commando-de-legende-.php