Pour les soldats noirs, un hommage tardif

Le musée Mémorial d'Omaha Beach crée par Monsieur Tréfeu a été le premier musée a exposé des mannequins de reconstitution ayant la peau noire, ce qui, régulièrement, questionne les visiteurs qui, souvent, ne comprennent pas cette présence !

Ce n'est pas une erreur mais bien le reflet d'une réalité méconnue :des Gi's noirs étaient présents le Jour J à Omaha Beach.
Avec la visite prévue le 6 juin de Barack Obama, à l'occasion du 65e anniversaire du Débarquement, les regards se sont tournés vers des acteurs jusque-là ignorés du jour J : les soldats noirs. Ils sont 146 à reposer au-dessus de la plage d'Omaha. 1700 libérateurs noirs étaient sur les plages de Normandie le 6 juin dont  500 à Omaha. Ils furent plusieurs dizaines de milliers les jours suivant à œuvrer dans les services d'intendance, et bientôt dans les unités combattantes, leur loyauté à l'Amérique ayant été vérifiée au feu.


Décembre 1944 : soldats noirs capturés par les allemands pendant la Bataille des Ardennes. (Archives fédérales allemandes)


L’armée américaine est  raciste et ségrégationniste.

Le ministère de la guerre américain perpétua la ségrégation raciale, bien après l'abolition de l'esclavage en 1865. Déjà dans le civil, les employeurs réservaient aux travailleurs noirs les tâches les plus pénibles et les moins rémunérées. Ce traitement se reporta dans les troupes militaires, ainsi, les noirs étaient séparés des blancs : régiments et mess étaient distincts, mêmes les poches de sang n'échappaient pas à la règle. Pourtant, le 3 septembre 1940, le Selective Service Act était censé mettre fin à cette politique dégradante, sans succès. Les soldats de couleur recevaient une piètre instruction et une nourriture moins bonne que leurs camarades à la peau plus claire. 

Commandés par des blancs,  les noirs ont  toujours une position inférieure. ils étaient cantonnés en majorité  dans des unités spécifiques affectés  à des tâches de soutien, en particulier à des fonctions logistiques (ravitaillement, manutention, cuisine ou transport). Néanmoins certains pouvaient tout de même servir dans des troupes de combats comme le génie, l'artillerie ou la DCA. S’ils représentent 8,7% des effectifs militaires, ils sont à peine 3% des troupes combattantes.


Dans le "centre d'interprétation" qui jouxte le cimetière militaire de Colleville leur présence est évoquée. Un panneau vante l'héroïsme du sergent Waverly Woodson, responsable de la pharmacie du 320e bataillon de barrage antiaérien, qui soigna durant cinq jours les blessés sur la plage d'Omaha, avec un éclat de mortier dans la jambe.


A Omaha,  un bataillon  entièrement constitué de soldats noirs


Environ 500 afro américains sont présents à Omaha le 6 juin (1200 à Utah) ils servent  dans le 320° bataillon de ballons antiaériens dont quatre sont inhumés au cimetière. S'ajouteront la 
3275° compagnie du service d'intendance,  la 385 ° compagnie de camions de l'intendance et le 490° bataillon portuaire. Dans les les semaines qui suivent, d’autres Noirs débarquent en Normandie : ils sont essentiellement chauffeurs de poids lourds, conducteurs d’engins amphibies ou dockers. Ils sont aussi  engagés comme steeward pour les gardes côtes, ou cuisiniers  pour la Marine. Leur activité est donc variée :  ils œuvrèrent sur les ports flottants d'Utah et d'Omaha Beach, ils  édifièrent des hôpitaux et des aérodromes. Les GI's les croisèrent sur le Red Ball Express, lorsqu'au volant de leurs camions ils constituaient le vital maillon du ravitaillement en carburant et en munitions vers les premières lignes. 
Aucune unité noire n’est alors engagée dans les combats. En effet la ségrégation existe dans l'armée et les noirs (considérés comme peu fiables pour le combat) occupent à 75% des emplois de service (cuisine, manutention, blanchisserie...). Toutefois,  le 761st Tank Battalion, les Black Panthers, qui débarqua sur Omaha le 10 octobre 1944,  ferrailla dans la 3rd Army du Général Patton.

Le 6 juin 1944, une seule unité noire participe au débarquement sur Omaha Beach: le 320 ème Barrage Balloon Battalion. Ce sont eux qui vont installer,  un barrage de ballons destiné à empêcher les attaques de l’aviation ennemie à basse altitude. 
 A gauche photo prise à Utah et, à droite, vue sur les ballons  à Omaha 


Ainsi à l’aube du 6 juin 1944, William Dabney se trouve dans une barge de débarquement, à 6h30 du matin, la plage d’Omaha  se dessine devant ses yeux. Ce jeune homme de 19 ans, originaire de Virginie, s’apprête à vivre le moment le plus intense de sa vie. Avec ses camarades, il saute de l'embarcation et foule le sol de France sous une pluie de balles et d’obus. "Les Marines étaient déjà passés. Le sable était couvert de cadavres", raconte à France 24 le vieil homme, depuis son domicile de Roanoke (Virginie), aux États-Unis. "Je faisais partie du 320e bataillon de ballons de barrage anti-aérien. J’avais un ballon attaché à moi lorsque je suis arrivé sur la plage, mais il a été détruit pendant les bombardements".

Dans l’enfer du "D-Day", le soldat américain arrive à survivre tant bien que mal. Il s’empare d’une pelle et creuse un trou dans lequel il reste terré pendant de très longues heures : "Je suis resté sur la plage pendant environ trois ou quatre jours, en attendant l’arrivée de nouveau matériel. Je ne faisais pas partie de l’infanterie ou des Marines, je n’étais pas en train de me battre. J’étais là pour protéger les troupes avec les ballons". William Dabney faisait partie d’une unité spéciale, équipée de ballons en caoutchouc gonflés à l’hydrogène et rattachés à un treuil par des câbles d’acier. Ce système permettait d’éloigner les avions ennemis, en cas de contact, un détonateur déclenchait une explosion.

Ce 320e bataillon de ballons de barrage anti-aérien avait également la particularité d’être entièrement constitué de soldats noirs. Alors qu’à l’époque, les militaires de couleur étaient relégués à des tâches subalternes et à l’écart des régiments de blancs, le 6 juin, seul ce bataillon afro-américain a débarqué à Omaha et Utah Beach. Mais pendant des décennies, leur participation héroïque est tombée dans l’oubli. Sur les plaques commémoratives, dans les livres d’histoire ou dans les films, il n'est fait aucune mention de leur présence lors de ce jour si crucial.

320E RÉGIMENT DE BALLONS DE BARRAGE ANTIAÉRIEN





Il faudra attendre 2009 pour que William Dabney et ses compagnons obtiennent enfin l'hommage mérité. Le vétéran de Virginie, l’un des derniers survivants de son bataillon, s'est vu décorer de la Légion d’honneur par le président Nicolas Sarkozy accompagné de son homologue américain Barack Obama. "J’étais vraiment reconnaissant que les Français apprécient le fait que je me sois battu pour eux. (…) Quand je suis venu en France pour recevoir ma médaille, ils ont joué des hymnes et j’ai dû rester immobile en faisant le salut. J’ai cru que mon bras allait tomber parce que j’avais plus de 80 ans et maintenant j’en ai 90 !", souligne William Dabney avec humour.

Cette manifestation tardive n’aurait jamais eu lieu sans la détermination d’Alice Mills, maître de conférences de l’Université de Caen. Spécialiste de la littérature afro-américaine, elle a été surprise de "l’invisibilité" des troupes noires américaines débarquées en Normandie. Seuls quelques ouvrages font allusion à ces soldats en les associant à des histoires de viols ou de pillages lors des jours troubles de la Libération de la France. "La thèse de nos historiens me paraissait en décalage avec les souvenirs de nombreux Normands avec lesquels je m’étais entretenue de façon informelle", explique-t-elle à France 24. "Ils affirmaient avoir cohabité plusieurs mois sans problème avec des soldats noirs, et les enfants de l’arrière-pays semblaient avoir régulièrement voyagé dans leurs Jeeps. La population était plus terrorisée par les Géorgiens de l’armée allemande, réputés pour leur cruauté. Alors que pour les soldats noirs, ils étaient contents qu’ils soient là".
Dans son livre rempli de témoignages "Soldats noirs américains, Normandie 1944", Alice Mills montre également que ces hommes ont joué un rôle très important dans l’opération Overlord. Dans le cadre de ses recherches effectuées pendant une année à l’Université d’Harvard, elle a ainsi retrouvé un message adressé le 26 juillet 1944 par le général Eisenhower au 320e bataillon de ballons de barrage anti-aérien : "Votre bataillon a débarqué en France le 6 juin sous le feu de l’artillerie, des canons et des fusils. Le bataillon, en dépit de ses pertes, a accompli sa mission avec courage et détermination, prouvant son importance dans l’équipe de défense aérienne".

Des noirs combattent !

Il faudra attendre que la situation se dégrade sérieusement, durant l’offensive allemande des Ardennes fin 1944, pour que des Noirs soient autorisés à s’illustrer au combat. Il s’agit en particulier de bataillons d’artillerie et de chasseurs de chars (Tank destroyers). Plus tard, lors de l’entrée des Américains en Autriche, c’est un bataillon de chars (761ème Tank Bataillon) qui est à l’avant-garde. Pour éviter qu’ils n’entrent en contact avec l’armée soviétique avant les Blancs, le commandement ordonne l’arrêt des livraisons de carburant. Las ! Les tankistes en dérobent et arrivent les premiers au contact de l’armée rouge... ce qui sera soigneusement passé sous silence. L’aviation américaine comptera également quelques unités noires, surnommées « Tuskegee Airman ». Le 332ème Fighter Group, là encore uniquement noir, sera engagé sur le théâtre méditerranéen, notamment en Italie, où il obtiendra des résultats impressionnants. 
A signaler également la 92°division d'infanterie qui combat en Italie et  la 93°division d'infanterie qui s'opposa aux japonais dans le Pacifique.
On peut estimer qu' à la fin de la guerre la population noire représente 1/8 des forces américaines, mais cela est toujours resté dans l'ombre.

Les noirs au cimetière de Colleville

2% de soldats tués pendant la 2°guerre mondiale étaient afro américains. Au cimetière de Colleville, 146 soldats noirs sont enterrés ou inscrits sur le mur des disparus dont 3 tués le jour J. Malgré la ségrégation de l'après guerre, il faut noter qu'ils sont enterrés parmi tous les soldats tués, le "hasard" étant la règle pour l'implantation des tombes

Trois  femmes auxiliaires noires du secteur postal (WAAC) sont enterrées : sergent D M Brow (F 13 tombe 19), PFC M J Barlow (A 19 tombe 30), et M H Bankston (D 20 tombe 46) tuées dans un accident de route le 8 juillet 1945 près de Saint Valéry en Caux. Elles triaient les lettres de plus de 7 millions de soldats américains. Ce bataillon était exclusivement composé de 885  femmes noires et dirigé par le lieutenant colonel Charity E Adams, la femme noire la plus gradée de toute la seconde guerre mondiale. 


Le colonel Charity E Adams et le capitaine Abbie N Campbell
 inspectent le contingent du 6888° bataillon postal en Angleterre


En 1997, B Clinton remit 7 médailles d'honneur  pour services rendus pendant la deuxième guerre mondiale, c'est la première fois que des noirs ont cette distinction.
La France a accordé la première légion d'honneur a W G Dabney qui débarqua à Omaha le 6 Juin avec 3 camarades du 320° Bataillon des ballons antiaériens


Une difficile reconversion

Malgré cet hommage du chef suprême des forces alliées en Europe, le retour à la vie active ne fut pas des plus faciles pour les soldats du bataillon noir. Dans une Amérique où la discrimination sévissait encore, leurs exploits n'eurent pas d'écho. William Dabney, enrôlé dès l’âge de 17 ans, n’a pas pu suivre la carrière souhaitée. Après avoir continué la guerre en Belgique puis aux Pays-Bas et enfin aux Philippines, il a entamé des études après sa démobilisation. "Il est allé au Saint Paul's College, un institut technique, et à Lawrenceville, en Virginie, où il a obtenu un diplôme universitaire d’ingénieur électrique. Mais à l'issue de ses études, il est victime de la ségrégation sur le marché du travail. Il n’y avait pas de poste d’ingénieur ouvert pour des candidats noirs. Il a été obligé de suivre une formation de carreleur", raconte son fils Vinnie Dabney.



William Dabney et son fils Vinny en 2009



L’ancien soldat ne préfère toutefois pas s’attarder sur ces questions. "Quand je suis revenu en France, des jeunes m’ont demandé ce que cela faisait de venir ici libérer l’Europe alors que nous n’étions pas libres nous-mêmes en tant que Noirs. J’ai dû leur expliquer que nous n’étions pas exactement dans la même position que les Français durant la guerre", estime William Dabney. "J’ai grandi dans une ferme en Virginie, bien sûr que nous étions des métayers, mais nous jouions aussi tous ensemble, Blancs et Noirs. Je ne pensais pas vraiment à la ségrégation à l’époque". À 90 ans, le vétéran du Débarquement se focalise sur le devoir de mémoire : "Je ne pense pas que je viendrai en France en juin, mais nous avons notre propre mémorial du 'D-Day' ici et je vais y aller avec quelques vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Et puis je n’aime pas trop voler !"


Durant la Seconde Guerre Mondiale, 909 000 soldats noirs ont combattu dans les rangs de l'armée américaine. Il faudra attendre 1948 pour que celle-ci mette fin à la ségrégation raciale dans ses rangs.


Sources :
-web : http://www.plagesdu6juin1944.com/blog/6/
-article de France24 du 05/06/2009 : La France rend honneur au rôle des Afro--Américains
-article France 24 du 04/06/2014 : "D-Day" : les soldats noirs tombés dans l'oubli
-article du Monde du 06/06/2009 : Les soldats noirs des Etats-Unis, héros oubliés du 6 juin 1944  et  en 44 l'armée était raciste
-Dictionnaire du Débarquement, sous la direction de Claude Quétel, éd. Ouest France

-Ouvrage "Soldats noirs américains, Normandie 1944", Alice Mills