Des préparatifs à améliorer

Des plans minutés
Des plans minutieux furent établis mais se heurtaient à quantité de problèmes tant les marges de manœuvre étaient étroites. L'on tint compte des expériences apportées par les précédents débarquements : Dieppe montre la nécessité d'une puissante artillerie,  la Sicile de maîtriser parfaitement les airs, Salerne de grouper les unités (pas de brèches) et faire un puissant  bombardement naval, Anzio montre la nécessité d'un port, même petit,  proche. Torch n'apporta rien car les conditions étaient très différentes.
Chaque arme souhaitait des conditions optimales :
-la marine  demande des vents inférieurs à force 3, maximum 5 en pleine mer avec une visibilité supérieure  à 3 miles,
-L'aviation exige un plafond de  4500 pieds pour ses bombardiers avec une visibilité de 3 miles
-les parachutistes doivent bénéficier d'un vent faible inférieur à 20 miles/heure
-les forces terrestres demandent un terrain sec pour faciliter le déplacement des véhicules
Ces exigences déterminent le choix de la date, optimale début juin (lune, météo) qui permettait de longues journées de combat. Furent enfin décidés :  la nuit pour l'approche, l'aube pour l'attaque avec un débarquement  à mi marée montante en raison de la présence des obstacles

Cartes et plans détaillés du débarquement furent établis avec une grande minutie. Chaque bataillon, chaque unité sait exactement ce qu'il doit faire : minutage, localisation, objectifs sont définis avec une telle précision que rien n'est prévu en cas d'impondérable. Et pourtant, à Omaha, rien ne fonctionnera comme prévu, très peu de GI's ont débarqué à  l'endroit prévu... Les conséquences seront terribles.


Plan déroulement du débarquement du 116th Infantry Regiment

En fait un plan classique qui se résume en une théorie bien américaine : appliquer contre l'ennemi une puissance écrasante pour emporter la décision, organiser une puissante logistique pour  faciliter le renforcement  et éviter que les ennemis ne puissent acheminer des renforts. Une double course : stratégique et de vitesse !


Des GI's formés au débarquement
Les préparatifs militaires  se déroulèrent avec intensité mais surtout avec  discipline très rigoureuse que les hommes avaient parfois du mal  à supporter. Divers camps d'entraînements aguerrissaient les jeunes soldats. Les exercices se sont multipliés pour mettre les soldats dans des conditions proches  des situations qu'ils devaient rencontrer le  6 juin: entraînements intensifs  avec marches forcées, attaques de nuit,  prise d'un pont, utilisation des chars DD... De plus, souvent ces entraînements se faisaient de manière réaliste en faisant exploser de  obus à proximité ou sous des tirs d'artillerie afin de conditionner les GI's, d'ailleurs ces derniers étaient étonnés de subir tant d'épreuves "C'est terrifiant ce qu'un gars doit subir comme épreuves pour son pays" (Soldat Smith 29° DI)

La planification définitive pour le lancement de l’ Opération Overlord  fut réalisée  à Casablanca en janvier 1943. Cette planification  incluait une formation approfondie de l'armée alliée, en particulier  réaliser des manœuvres diversifiées comme simuler un débarquement avec  des péniches  qui devaient essayer de poser des troupes d’invasion sur le rivage, tandis que les forces navales et les batteries de terre et les troupes au sol tenteraient d’essayer de les repousser. L'on voulait surtout éviter les erreurs et faiblesses des débarquements précédents

Sur les plages du Devon, une série de trois exercices fut planifiée :
- "Duck"en janvier 1944 pour favoriser la coopération inter-armes et charger /décharger les LCT ; il dévoila des problèmes de coordination, gestion et embouteillages  de navires, surcharges de Gi's, décalage de timing et lieux. En fait seuls les chargements et déchargements furent satisfaisants, notamment l'utilité des Dukw
-"Beaver"fin mars 1944, suivi en avril par "Tiger" qui exerça plus de 20.000 hommes à  se rassembler, embarquer, naviguer puis débarquer sur la  plage. Il fut décidé, par le général Eisenhower, d’utiliser de vraies munitions, décision communiquée aux officiers, mais pas à toutes les troupes.
 Slapton Sands


Entraînement des troupes américaines sur la plage de Slapton Sands






Un échec : L'opération Tiger
Le 27 avril 1944, l'État-major interallié,  a préparé une série d'exercices préparatoires au débarquement sur la plage de Slapton Sands, dans le Devonshire, au Royaume-Uni, qui fut choisie en raison de sa ressemblance avec celles d'Omaha et Utah. Le but était de  former les soldats américains qui devaient intervenir en France lors d'une répétition avant le débarquement en Normandie (l'Opération Neptune) qui s'étala  du 22 au 30 avril 1944.
Les villages furent évacués de leurs 3000 habitants, les routes fermées, les sites et monuments historiques protégés. Les soldats alliés jouèrent à la fois leur propre rôle et celui des Allemands. Cette opération fut menée dans des conditions « réelles » et dans le plus grand secret.
Il était prévu d'effectuer un exercice de débarquement de matériel lourd avec neuf bateaux de débarquement (Landing Ship Tank ou LST). Le lent convoi de ces navires faisait une ligne ininterrompue de 8 km de long qui devait théoriquement être protégé par le HMS Scimitar, un destroyer de la Première Guerre mondiale, mais ayant subi des dégradations après une collision, celui-ci resta au port de Plymouth pour des réparations. Ce convoi, parti la veille,  simulait la traversée de la Manche, ensuite deux vagues successives devaient débarquer, d'abord un assaut type suivi le lendemain par le débarquement à partir de  8 LST (gros navires de 4000T  avec hommes et chars)

Le 27 avril 1944, en soirée,  9 vedettes lance torpilles allemandes (Schnellboot ou S-Boot) quittèrent le port de Cherbourg, afin d'intercepter des  convois signalés au large de la presqu'île de Portland. À cause du brouillard, elles manquèrent les convois mais tombèrent, dans la baie de Lyme, sur 8 gros LST américains en cours de répétition de débarquement dans le cadre de l'opération Tigre, escortés seulement par la corvette HMS Azalea, leurs radios non calées sur la même fréquence.

S-Boot,vedette lance torpille allemande

L'attaque allemande se déroule vers 2 h du matin le  28 avril 1944. Bien que l'alerte aux S-Boot ait été donnée 2 heures plus tôt, la lenteur du convoi de débarquement permit aux vedettes rapides de torpiller, en fin de convoi, les LST 507 et 531 qui coulent  et d'endommager gravement le LST 289. Quoique repérées par les Britanniques, les vedettes ne furent pas signalées aux Américains. Par manque de coopération entre l'U.S. Army et l'U.S. Navy, beaucoup de GI's périrent noyés dans la Manche pour diverses raisons :   gilets de sauvetage mal attachés,  poids de leur équipement,  hypothermie  ou bloqués dans les LST coulés, d'autant que les secours tardèrent car Eisenhower ne donna l'ordre de récupérer les naufragés qu'à l'aube.
En un quart d'heure à peine, l'attaque causa la mort de 198 marins et 551 soldats, soit au total 749 et en blessa une centaine d'autres, soit beaucoup plus qu'à Utah Beach (200 h)
Le matelot Capon à bord du destroyer décrit la scène au petit matin :"Avant que le soleil se lève, nous avons reçu l'ordre de rejoindre nos postes de combat. C'était l'aube, j'ai regardé aux alentours. Il n' y avait pas un endroit sans un corps, sans un Ricain à l'envers, mort. Il y avait des centaines et des centaines de corps. Je n'ai jamais vu autant de corps. A perte de vue. Nous en avons récupéré un,  il était vivant. Ils l'ont allongé sur la table mais il a claqué d'hypothermie. Je le revois très bien, un beau gamin. Ce n'était que des gosses, mais on était tous des gamins"

le  LST 289 après l'attaque

Un certain nombre d'officiers noyés durant l'exercice Tiger étaient porteurs de plans partiels du débarquement de Normandie (opération Overlord), avec des instructions secrètes référencées sous le nom de code « bigot ».
L'État-major allié, qui s'était lancé dans un vaste plan de diversion et d'intoxication (Opération Fortitude, prévoyant un débarquement aux environs de Calais) craignit que l'attaque des S-Boot allemands n'ait pas été une simple coïncidence et que les plans du débarquement avec l'objectif réel dans le Cotentin ne soient tombés aux mains des Allemands.
Il fallut lancer une vaste pêche aux cadavres dans la baie de Lyme et ce n'est que lorsque tous les plans manquants furent récupérés que le feu vert put être donné à la poursuite de l'opération Overlord.


Bilan
Les pertes s'élèvent à 1249 hommes dont 749 morts ( 198 marins et 551 fantassins). Que sont devenus ces morts ?  on ne le sait toujours pas !  C'est un mystère, les familles américaines n’ont pas récupéré de cercueils, et il n’existe pas de tombes au nom des 749 victimes. Il est probable, selon des  des témoins locaux,  qu’ils ont été enterrés, temporairement, dans une fosse commune à proximité et que, pendant l'été 44, des trains ont été secrètement chargés des corps des GI’s sous surveillance ensuite, ils auraient été  brûlés (?). (source : un historien ferroviaire local, Ken Williams).


Le plus strict secret militaire fut longtemps entretenu sur cet événement, qui fut longtemps méconnu des historiens. La honte du fiasco de Slapton Sands n’avait pas à être sue. C’est seulement en 1984 que l’état-major américain  ouvre les archives sur les évènements survenus les 27 et 28 avril 1944.

Aucun mémorial, ni aucune commémoration n'existent, seulement:
-Une plaque rappelle le sacrifice de la 1st Engineer Special Brigade, accompagnée  d’un char Sherman américain exhumé des sables par Ken Small  (historien local) en 1984. Depuis, cet homme se bat pour qu’un monument soit érigé mais personne ne le souhaite ...
- à Utah Beach (?)  existe une plaque commémorative.
Ce drame longtemps caché demeure une exception. Ces 749 morts sont totalement oubliés.

Conséquences
L'État-major interallié tira toutefois les conséquences de l'événement en ordonnant :
-Radio : standardisation des fréquences radio américaines et britanniques ;
-Gilets de sauvetage : un meilleur entraînement à l'utilisation des gilets de sauvetage ;
-Sauvetage: la planification de récupération d'éventuels naufragés par l'utilisation de petites embarcations.
-Coopération inter armes: de meilleures collaborations entre les États-major alliés, et entre la marine et l'armée de terre

Début mai, une grande et dernière répétition générale eut lieu avec la participation de toutes les divisions US (sauf la 4°). Cette opération nommée "Fabius" se déroula sans incident. Toutefois ces répétitions montrèrent de nombreuses lacunes dans plusieurs domaines: équipages de navires parfois peu compétents,  manque de vivacité des troupes, manœuvres ratées. Le haut commandement n'est donc pas totalement rassuré même  si la préparation  avait été réalisée du mieux possible, le temps manquait pour affiner...



Sources et compléments