Un débarquement annoncé et préparé par les alliés, attendu des allemands, espéré des français

Dés 1943, tous les acteurs de cette deuxième guerre mondiale savent qu'un débarquement va survenir., ce ne sera donc pas une surprise ! S'annonce une préparation délicate qui entraîne beaucoup d'interrogations. Lorsque le débarquement arrivera, ce sera un soulagement pour tous après des mois d'attente, de spéculations, d'incertitudes et d'espoir. Tous les ingrédients sont réunis pour que le mythe se dévoile enfin et devienne réalité : le D-Day, jour le plus long, sera glorifié, mythifié plus que jamais.



Du suspens : de la difficulté d'accorder les "alliés" pour un nécessaire débarquement

Certes réaliser un débarquement trans Manche est une idée ancienne que seul Guillaume le Conquérant a réussi, Hitler y a renoncé (Opération Seelowe) et Churchill l'envisage ès 1940, mais à très long terme ! Il faut du temps pour que l'opération se mette en place, de plus les alliés ont eu de telles profondes divergences stratégiques que ce n'est qu'en 1943 que les premiers plans et réflexions arrivent.

Les insulaires anglais, protégés d'une attaque allemande, ne songent qu'à protéger leur empire qui connaît des difficultés (Tobrouk en 1942 conquis par Rommel) réconfortée par la réussite d'El Alamein, fin 1942. Ils préfèrent freiner les engagements directs au profit d'une prudence d'attente espérant que le blocus économique (Royal Navy et RAF) affaibliraient les allemands incapables de riposter. Ils n'ont pas oublié les meurtrières offensives du passé : première guerre mondiale, puis Dieppe et craignent de "payer la note du boucher".

Les Russes qui ont failli connaître la défaite en 1941 (450 km d'espace occupé avec plus de 3 millions de prisonniers) ont rétabli la situation dés 1942. Staline a besoin que l'on soulage le front Est par un débarquement et use de diplomatie pour y parvenir.

Les américains ont le Japon comme ennemi principal après Pearl Harbor (7/12/41) mais affirment que c'est l'Allemagne "Germany first" qu'il faut d'abord et avant tout détruire. Le Japon suivra. Début 1942 Eisenhower insiste sur la nécessité de "débarquer" en faisant transiter les troupes par le Royaume Uni et mettra tout son poids pour vaincre les réticences anglaises et calmer les russes impatients. Donc les allemands seront attaqués en Europe à la fois par logique militaire et économique.


Diverses conférences furent nécessaires pour la mise au point du débarquement : Arcadia (fin 1941) unifie le commandement et exige la nécessaire fourniture de matériel aux anglais ; Trident (mai 1943) puis Quadrant (Août 43) précisent le débarquement, nommé Overlord, planifié en Normandie pour le 1° mai 1944 (ce qui déçut les soviétiques) et commandé par les américains. En fin, Téhéran (fin 1943) où les trois "grands" prirent les dernières décisions pour hâter la défaite allemande déjà bien entamée par les russes et les débarquements alliés en Méditerranée, Overlord fut confirmée comme opération clé au détriment d'une stratégie méditerranéenne réclamée par Churchill, et l'on négocia l'occupation de l'Allemagne et la future ONU.




Des hommes : une mobilisation économique et humaine sans précédent

Pour réussir, il faut avant tout du matériel, la mobilisation économique fut totale. En 1942, le Victory Program (« Programme de la victoire ») est un plan d'économie de guerre destiné à permettre à l'économie américaine de devenir « l'arsenal des Alliés » durant la Seconde Guerre mondiale en produisant des quantités croissantes de matériel de guerre. En trois ans la production militaire américaine s'accrut de 800% pour produire 172.000 avions, 90.000 chars, 65.000 bateaux de débarquement....soit les deux tiers de la production alliée. Chez les britanniques c'est l'aviation qui se développe le plus avec 25.000 appareils produits chaque année, le reste demeure plus faible d'autant que les anglais ont besoin de l'aide américaine (prêt bail).

Combien lever d'hommes ? les allemands ont probablement 300 divisions, les britanniques 100 ; aussi les américains pensent d 'abord en lever100 également pour finalement le réduire à 89 divisons alors que les russes ont mobilisé 400 divisions...

Sur le plan matériel, les américains misent sur une artillerie mobile accompagnée de chars Shermann trop peu nombreux et faiblement armés (canons de 75mm) face aux redoutables tigres allemands armés de 88 mm

Les forces humaines américaines et anglaises travaillent essentiellement pour produire pour l'armée : chacun sait ce qu'il adviendra du fruit de son travail lorsque tout sera prêt : un vaste débarquement.


De la stratégie et logistique

Une mise au point difficile car il faut coordonner les 3 armées de plusieurs alliés pour une même stratégie ! une prouesse pour mettre tout le monde d'accord..

En 1943, on étudie encore le lieu... pour enfin décider de la Normandie puisque les allemands l'attende dans le Pas-de-calais, trop fortifié . Le Cossac organise la stratégie qui nécessite la maîtrise de l'air, la mer et exige d'empêcher le transfert de divisions allemandes vers l'ouest en utilisant le bombardement. L'absence de port se révèle problématique ainsi que l'étroitesse des plages à élargir vers le Cotentin aussi décida-t-on de passer à cinq plages avec 5 divisions d'assaut. Le 6 décembre 1943, Eisenhower est nommé Commandant suprême, en raison de son expérience de débarquement (Torch, Tunisie, Sicile, Italie) et de ses qualités de logisticien et de de diplomate pour affronter les égo de De Gaulle ou Montgomery... Il doit tout coordonner et planifier, ainsi une opération de diversion "Anvil" sera menée dans le Sud de la France et Caen devra tomber le premier jour...


A une condition, le bombardement doit empêcher l'ennemi de transporter ses renforts, il faut paralyser les voies ferrées et les ponts pour isoler la Normandie sans oublier de détruire en Allemagne les sites de productions militaires. En fait très vite, on s'aperçut qu'il suffisait de détruire les installations pétrolières et le réseau ferré pour détruire la logistique allemande mais en faisant courir un gros risque aux civils français.


De l'impact de la désinformation sur la médiatisation


Il faut que les allemands soient déconcertés par les choix alliés : heure, jour, lieu du débarquement, donc il faut masquer les intentions réelles ce qui est facilité par l'insularité anglaise, le décryptage des alliés des communications allemandes et par le savoir faire anglais en matière d'espionnage. En un mot, pratiquer la désinformation et l'intoxication ( "Bodyguard"), en faisant croire que l'opération se déroulerait dans le Pas de Calais (Opération Fortitude). Mais comme Hitler n'est pas dupe (directive 51) il fallut aussi accréditer la possibilité d'un débarquement en Scandinavie pour troubler davantage les allemands puis en méditerranée dans les Balkans.... Faux trafic radio, décor de matériel, fausses activités militaires se généralisent un peu partout ainsi que la présence d'agents double. Des événements que l'on trouve habituellement au cinéma dans les superproductions deviennent réalité


Une attente d"invasion" des allemands

Si la Normandie a été occupée par les allemands comme le reste de la Zone occupée, à partir de 1942 se réalisent une augmentation de effectifs de troupe (4 nouvelles divisons s'installent à partir de mars 43) et aussi une diversification liée à la présence d 'unités ayant combattu sur le front russe venues se reposer en Normandie qui parfois abusent de leurs prérogatives lors de l'occupation des maisons normandes.

Dés novembre 1943, la directive 51 d'Hitler précise : "Un danger plus grand se précise à l'ouest : le débarquement anglo-saxon....Si une percée sur un large front dans notre défense réussit à l'ennemi les conséquences seront irrémédiables.. Tous les signes semblent indiquer que l'ennemi au plus tard au printemps s'alignera pour l'attaque contre le front occidental en Europe. C'est pourquoi je ne peux plus répondre du fait que l'on continue à affaiblir l'Ouest en faveur d'autres théâtres d'opérations. Car c'est là que va attaquer l'ennemi, c'est là que sera livrée la bataille décisive du débarquement."

 Le mur de l'atlantique sera renforcé en réquisitionnant la main d’œuvre locale mais le nombre de régiments allemands présent ne change guère sauf leur nature avec l'arrivée d'"Osttrupen" (soldats étrangers) vite nommés " mongols ou tartares" par les locaux d'autant qu'ils ont tendance à voler chez les habitants.

En mars 44 le nombre de divisons augmente avec l'arrivée de 4 divisions supplémentaires, soit au total 10 divisions (100.000 hommes). L'armée allemande se prépare au débarquement allié attendu pour le printemps 44. La troupe est en état d'alerte permanent, surtout sur le littoral.


-Le Pas-de-Calais ?

Toutefois, c’est sur le littoral du Pas-de-Calais que sont lancés, à la fin 1942, les travaux les plus impressionnants pour réaliser le « Mur de l’Atlantique » avec lequel Hitler espère empêcher un débarquement anglo-américain en Europe.

Des obstacles minés sont placés sur les plages, des blockhaus abritant canons et mitrailleuses sont construits sur la côte, des batteries de canons géants sont aménagées. Les ports de Dunkerque, Calais et Boulogne sont transformés en forteresses. Tout le monde est persuadé, Allemands comme habitants du Nord–Pas-de-Calais, que c’est autour de Calais que se déroulera le débarquement allié. À partir de 1943, l’intensification des bombardements alliés semble confirmer cette hypothèse. La région offre tant de cibles. À partir d’avril 1944, les attaques sont pratiquement quotidiennes ; certaines sont très meurtrières pour les civils : il y a 500 tués à Lille le jour de Pâques. Les craintes de la population sont renforcées par le massacre commis à Ascq, près de Lille, le 1er avril 1944, par une unité de la division SS Hitlerjugend (86 morts).



-Ou la Normandie ?

Désormais d’accord avec Rommel, Hitler envisage la possibilité que les Alliés interviennent en Normandie, pas nécessairement pour LE débarquement mais pour UN débarquement. Les Allemands considéraient en effet l’hypothèse de plusieurs opérations successives : débarquement de diversion, débarquement principal… En réalité, leurs informations étant complètement embrouillées par les services secrets adverses, ils ne savaient pas bien quelles côtes françaises équiper par priorité. En décidant de défendre tout, ne prenaient-ils pas le risque de ne défendre rien ? En tout cas, à l’Ouest, ils disposaient de beaucoup d’atouts : ils tenaient les lieux qu’ils avaient équipés d’innombrables obstacles, ils étaient nombreux – près de 60 divisions, certaines équipées de chars qui n’avaient pas encore de concurrents. Leur faiblesse pouvait provenir du ciel : « Si vous voyez, se moquait-on, des avions blancs, ce seront des américains ; des avions noirs, des anglais ; si vous ne voyez rien, ce sera la Luftwaffe. » Le but étant de tenir le plus longtemps possible les lignes de défense puis de contre-attaquer, encore fallait-il ne pas perdre complètement la maîtrise du ciel, pouvoir rassembler utilement les panzers, ne pas devoir courir d’un point à l’autre afin de colmater les effondrements de l’infanterie.

Rien de ce qui était prévu par les Allemands ne se passa comme prévu… pourtant l'optimisme règne, les allemands sont convaincus de pouvoir repousser un débarquement. Goebbels indique que le Fürher "est absolument sûr que l'invasion échouera avec pertes et fracas", Rommel arrive aussi à le penser.

Jamais dans l'histoire un débarquement n'avait été aussi longtemps organisé, anticipé, annoncé ! En 1944, le mot "débarquement " est dans toutes les bouches.Mais seule une chose est sûre : l'incertitude sur le lieu, la date et l'heure.



L'espoir d'un débarquement des français


Les français aussi attendent le débarquement même si les difficultés du quotidien les adsorbent pleinement. Certes les bombardements se multiplient et font de gros dégâts. En 1944, la France reçut près de 500.000 tonnes de bombes qui provoquèrent plus de 35.000 morts, essentiellement dans le nord . Chacun comprend que l'intensification des bombardements présage un débarquement à venir.

La meilleure façon d'essayer de se tenir au courant nécessite d'écouter (illégalement) la radio en particulier "la voix de la France libre", sur les ondes de la «Les Français parlent aux Français» qui mène la bataille des ondes au travers d’éditoriaux, de chroniques, de sketches et de chansons et qui multiplie les messages d’espoir et de combat. Ces voix de la BBC apportent aux Français l’espoir dans les heures les plus sombres mais rien ne leur dit que le débarquement est proche ! sauf à connaître la teneur de ce message du 3 juin : "L'heure des combats viendra…" qui annonce un débarquement imminent.


Parfois des phrases bizarres sont émises que seuls les initiés peuvent décrypter. "Les sanglots lents des violons de l’automne… bercent mon cœur d’une langueur monotone." La célèbre strophe du poème de Paul Verlaine, légèrement altérée («bercent» au lieu de «blessent»), a été citée d’innombrables fois dans les films de guerre pour illustrer les messages secrets et personnels émis par Radio Londres à l’approche du débarquement de Normandie.

Ce message codé a bien été diffusé en deux phases, entre le 1er et le 5 juin 1944, parmi des centaines d'autres formules cryptées ( «Christian, laisse tes cheveux tranquilles», «La cuisinière vient d’avoir des quintuplés» ou «Madeleine attend depuis dix minutes») qui se sont multipliées début juin 44, destinées aux réseaux résistants afin de donner l’alerte, puis la confirmation d’ordre, pour recevoir du matériel parachuté ou pour le déclenchement du sabotage des voies ferrées situées à l’arrière, ce que les résistants ont réussi avec efficacité.


Au final de l'inquiétude pour les alliés...

S'ils bénéficient de la surprise stratégique, les alliés sont malgré tout encore sceptiques sur leur réussite car ils connaissent parfaitement leurs points faibles : la complexité de l'organisation, les aléas climatiques, les inquiétudes des aviateurs sur leur réussite, la phase critique des premières heures de débarquement, la crainte d'une grosse contre attaque.

Mais dit-on "cette chance mérite d'être saisie" et "chacun exprime sa confiance mais chacun craint l'échec !"

Le débarquement, par l'ampleur de sa préparation, par le nombre de personnes concernées directement ou indirectement et, surtout, par le flou qui l'entoure représente une opération qui n'a pas d'équivalent historique.

Chacun est concerné. On y participe par son travail dans les entreprises. On l'organise avec difficultés. On solutionne les problèmes par l'innovation. On en parle sans savoir de quoi il retourne. On va le réaliser sans savoir où et quand. Il effraie et inquiète mais apporte de l'espoir. On l'attend.

Tous les ingrédients sont présents pour qu'il devienne un mythe, qu'il réussisse ou échoue.





Source & compléments


https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2005_num_55_5_155
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