1984: le retour des USA qui célèbrent Omaha

François Mitterrand décide de faire des cérémonies du 40°anniversaire de 1984 un évènement international de grande ampleur, le faste de la commémoration dépassera tout ce qui avait été organisé jusqu'alors. En effet, il veut affirmer la place de la France dans le monde. De son côté Ronald Reagan le président américain, à la veille de son espérée ré-élection, a besoin d'afficher la puissance américaine et son rôle mondial. Pour la première fois, un président des Etats-Unis va donc participer  aux cérémonies.



La cérémonie internationale, présidée par François Mitterrand, se déroule à Utah Beach en présence de nombreux chefs d’État étrangers avec les inévitables défilés militaires des troupes des six nations, discours officiels avec l'évocation par F Mitterrand de tous les combattants y compris les allemands,  hymnes nationaux ... D'autres cérémonies se sont déroulées comme  à Bayeux au mémorial de la Libération où François Mitterrand  s'est recueilli longuement puis il a rejoint la reine Elisabeth et le prince Philippe au cimetière anglais. Pendant ce temps, Ronald Regan est à la pointe du Hoc. Le président français s'est rendu ensuite à Colleville où il a été accueilli au cimetière américain par Ronald Reagan qui  a rendu hommage dans un discours aux résistants français.  Mais ce sont les cérémonies américaines de l'après midi du 6 juin à la pointe du Hoc  qui marqueront  la présence de Ronald Reagan, avec en particulier le discours mémorable prononcé   qui révèle la vision américaine  sur le débarquement et qui affiche l'idéal américain.




Le discours à la pointe du Hoc

Ronald Reagan va réaliser  un grand show à l’américaine en prononçant un discours bien  calibré au service de l'image symbolique de son pays dans un site grandiose, au sommet de la falaise qui surplombe le rivage et, bien sûr, entouré de 62 survivants de l'opération. ici, il s'agit d'une commémoration voulue et  organisée uniquement  par les autorités américaines avec une volonté de médiatisation. Le discours est décalé et se tient, contrairement au protocole, avant la rencontre avec  F Mitterrand au cimetière de Colleville. Il sera prononcé à 13H20 pour être retransmis à une heure de grande écoute aux USA et dans un format adapté à la télévision : 13 minutes dans un langage simple et expressif. Le président Reagan restera pourtant  une heure trente  à la pointe du Hoc.
 Des mots et des images fortes  à destination des américains.

texte de l'intégralité du discours (anglais & français)


Un discours lyrique chargé d'émotion
Ce discours  assez court (1854 mots simples) est plein d'une émotion assumée qui s'affiche dans la description de l'évènement. Tout le monde revit la tragédie, il faut dire que Reagan sait s'exprimer avec talent en public, lui l'ancien acteur qui a porté  l'uniforme mais n'a jamais combattu (Unité cinématographique militaire). Il crée un lien personnel avec les anciens combattants, avec le public en faisant revivre la tragédie tel un reporter de guerre  avec beaucoup de charisme,  c'est un "grand communicateur" que sa gestuelle accentue : "main sur le cœur, salut militaire...

Les points forts:
-la narration  des exploits et de la bravoure des Gi'S:

"Les Rangers levèrent les yeux et virent les soldats ennemis – au bord des falaises tirant sur eux avec des mitrailleuses et lançant des grenades. Et les Rangers américains ont commencé à monter. Ils ont lancé des échelles de corde sur la paroi de ces falaises et ont commencé à se hisser. Quand un Ranger tombait, un autre prenait sa place. Quand une corde était coupée, un Ranger en agrippait une autre et reprenait son ascension. Ils ont gravi, répliqué par des tirs, maintenu leur progression. Bientôt, un par un, les Rangers se sont hissés au sommet, et en saisissant la terre ferme au sommet de ces falaises, ils ont commencé à reprendre possession du continent européen. Deux cent vingt-cinq vinrent ici. Après deux jours de combats, seuls 90 pouvaient encore porter les armes."
La prise de la pointe du Hoc est représentée comme un spectaculaire exploit, mis en scène  dans le discours, pour que chacun imagine, comme dans un film, ce qui s'est passé. Il faut donc honorer les 62 survivants présents.

-l'hommage aux survivants à qui il s'adresse directement

"Messieurs, je vous regarde et je pense aux mots du poème de Stephen Spender. » Vous êtes les hommes qui ont dans vos « vies combattu pour la vie … et laissé dans l’air vif la signature de votre honneur…. »
Quarante étés se sont écoulés depuis la bataille que vous avez menée ici. Vous étiez jeune le jour où vous avez pris ces falaises, certains parmi vous étaient à peine plus que des garçons, avec les plus vive joies de la vie devant vous. Pourtant, vous avez tout risqué ici. Pourquoi? Pourquoi avez-vous fait cela? Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre de côté l’instinct d’auto-préservation et à risquer vos existences pour prendre ces falaises? Qu’est-ce qui a inspiré tous les hommes des armées qui se sont réunies ici? Nous vous regardons, et quelque part nous savons la réponse. C’était la foi et la conviction, c’était la fidélité et l’amour."

La reconnaissance des soldats est aussi valorisée après le discours  par une plaque souvenir dédiée aux "héroïques commandos de rangers", puis le président et sa femme vont saluer un à un les Gi's. Le  public applaudit.



-la vision  de la guerre au service de la liberté


" Ils savaient que certaines choses valent que l'on sacrifie sa vie pour elles: mourir pour sa patrie ; mourir pour la démocratie parce que c'est la plus honorable forme de gouvernement jamais imaginée par l'homme"
Il s'agirait donc d'une guerre juste,  idéalisée et patriotique dont le sacrifice est une valeur glorifiée, un peu comme on le montre au cinéma. 
"Nous sommes ici pour marquer ce jour dans l’histoire où les Alliés se sont joints aux peuples pour rendre ce continent à la liberté." (première phrase du discours)
Le combat s'est fait pour défendre la liberté et la démocratie qui était une "cause juste et légitime". Les américains se font donc un devoir d'exporter la liberté et la démocratie (défendue par...Dieu!) de belles et grandes idées qui satisfont les futurs électeurs de Reagan.

-la position internationale des USA qui a libéré l'Europe...

Il faut préciser  que Ronald Reagan  fait un voyage de 10 jours en Europe: arrêt en Irlande, terre des ses racines ; Commémorations en France les  5 et 6 juin ; enfin, Londres pour le G7. C'est donc une occasion pour affirmer le rôle international des USA.

"L’Europe avait été réduite en esclavage, et le monde priait pour sa rescousse. Ici, en Normandie le sauvetage a commencé."
" Ce sont les héros qui ont contribué à mettre un terme à une guerre".
’"ils combattaient pour l’humanité tout entière"


Ronald Reagan tient a rappeler le  rôle des USA comme leader du monde libre et libérateurs de l'Europe, défenseur de la démocratie. Il veut aussi s'adresser aux Russes :

"Nous attendons un signe de l'Union soviétique indiquant qu'elle est disposée à aller de l'avant, qu'elle partage notre désir et notre amour de la paix"

Enfin, il se montre homme de paix :
"Je vous dis du fond du cœur qu'aux États-Unis, nous ne voulons pas la guerre. 

Conclusion
Si ce discours médiatisé  a une portée internationale, il a aussi un fonction bien spécifique à la veille des élections américaines : s'octroyer les faveurs des anciens combattants (un réel lobby) et des militaires, mais aussi  de tous ses compatriotes (républicains)  en réaffirmant le rôle international et le renouveau des USA et en s'affichant comme un président "fort" qui sait porter les valeurs traditionnelles de son pays.
L'année 84  est donc l'année "clé" dans les commémorations : désormais les présidents américains seront présents, les trois sites  de la Pointe du Hoc, de la plage d'Omaha et du cimetière de Collevile sont désormais des incontournables qui érigent ces sites  comme "haut lieu de mémoire".
Les américains, fils et petits fils de GI's comme leurs présidents ont sacralisé ces lieux qui deviennent mythiques, s'y recueillir est devenu  un rite.

Les commémorations ne seront plus les mêmes: la cérémonie militaire d'autrefois se transforme en une grandiose  cérémonie politique où sont invités les chefs d'État. Elle ne feront qu'accélérer le tourisme de mémoire.