Les civils face au débarquement : quel impact ?

Les civils dans la tourmente du débarquement


Le débarquement et la Bataille de Normandie a provoqué la mort de 13 632 civils dans les trois départements bas-normands, 8 000 dans le Calvados, un peu moins de 4 000 dans la Manche, un peu plus de 2 000 dans l'Orne. A titre de comparaison, les Alliés ont perdu 37 000 hommes au cours de la Bataille de Normandie et les Allemands environ 80 000.
  • des chiffres
En valeur absolue, c'est la ville de Caen qui a le plus souffert, avec 2 000 tués, soit 3,5 % de sa population, maisprportionnelement d'autres villes  ont souffert avec des pertes de 5 à 10% : 4 %  à Coutances (270 morts) et à Valognes (200 morts) ; 5 % à Lisieux (800 morts), à Condé-sur-Noireau (250 morts) ou à Périers (107 morts) ; 6 % à Vire (350 morts) ; 7 % à Vimoutiers (200 morts) ; 9 % à Aunay-sur-Odon (200 morts). Le triste record est détenu par Évrecy où le bombardement aérien de la nuit du 14 au 15 juin provoqua la mort de 130 personnes sur les 400 habitants du bourg soit 32.5 % des habitants.

  • Quand ?
Le 6 juin,  fut aussi le plus tragique pour les Bas-Normands avec 2 200 morts. Le 7 juin, on ne dénombre pas moins de 1 600 tués supplémentaires. De manière générale, on peut observer que les premiers jours de la bataille sont les plus meurtriers. Ensuite la population prend des mesures pour se prémunir contre les bombes ou les obus, en se réfugiant dans des abris de fortune, des tranchées, des carrières souterraines et des galeries de mines, ou bien en fuyant les zones les plus exposées. Dans ces conditions, les victimes sont moins nombreuses, en dépit de "pointes" comme celle du 7 juillet ( bombardement aérien sur Caen)  ou lors de  la bataille dans la Poche de Falaise, où les civils ne sont pas épargnés par les projectiles destinés aux Allemands.
Les victimes ont été proportionnellement plus nombreuses chez les habitants des villes que chez les ruraux en relation avec les bombardements aériens sur les principales cités de la région.

  • Les plages de débarquement et Omaha
Malgré les bombardements aériens survenus au cours de la nuit du 5 au 6 juin et les tirs violents déclenchés à l'aube par l'artillerie de marine, les opérations de débarquement proprement dites ont provoqué un nombre relativement limité de victimes. Sur le littoral oriental du Cotentin (Utah Beach) et sur celui du Bessin (Omaha Beach), les habitations sont peu nombreuses. Elles le sont, par contre, bien davantage en secteur britannique et canadien (Gold Beach, Juno Beach et Sword Beach) entre Arromanches et Ouistreham. Mais une bonne partie de la population avait été évacuée sur ordre des Allemands. Les villas de front de mer, en particulier, ont été totalement vidées de leurs occupants afin de les transformer en retranchements.
Dans le secteur d'Omaha (voir  les tableaux de chiffres) les pertes civiles sont très faibles  en raison d'une part du raté des bombardements et de la faible occupation du littoral.

En effet dès 1943, les Allemands avaient entrepris la construction des défenses de la côte  et aucune  construction  ne pouvait obstruer leurs champs de tirs, aussi  les villas de la plage ont été détruites ou démontées afin de récupérer les matériaux, ce qui est assez lent pour détruire près d'un centaine de villas, aussi 15 à 20 n'étaient pas encore terminées en juin 1944 ou étaient occupées par les allemands.
De plus, le secteur d'Omaha est une "zone côtière interdite" située au nord de la nationale 13 dans laquelle il est difficile de se déplacer (les automobiles ne sont pas autorisées) et  il est interdit d'y rentrer sauf "laissez-passer" ou "Ausweis" aussi les habitants qui possèdent une attestation de résidence ne sont pas très nombreux, de plus ils n'ont pas le droit d'accéder  à la plage.

Eglises de Vierville    et    Saint Laurent après le  6 juin


Les pertes civiles avoisinent  31 personnes pour l'été 1944. Le  6 juin est le plus meurtrier (1/3) mais uniquement  pour l'arrière des plages, là où les bombes alliées sont tombées : Louvières (3), Sainte Honorine (4), Vierville(2). 
 Ainsi les bombardements aériens, ont tués des agriculteurs dans leurs champs comme Louise Oxéant (35 ans), et un de ses fils, Bernard Oxéant (14 ans), alors qu'ils étaient partis traire des vaches dans un herbage de Louvières. Un autre habitant de Louvières, Louis Bernard (36 ans), a aussi été tué dans les mêmes conditions. A la boulangerie de Vierville (rue Pavée), le 6 juin vers 6h00, un obus a tué Jacques Leroux, 9 mois, bébé de la boulangère et Pauline Bernasconi 20 ans, cousine de la boulangère. 
" Germaine Leroux était boulangère... Prévenues par un voisin de l'imminence du danger, elle et sa famille s'habillent à la hâte. Son dernier né sous le bras, elle dévale l'escalier pour rejoindre son mari au fournil et gagner un abri. Se ravisant brusquement, elle décide de remonter chercher ses papiers et confie son bébé de 9 mois (Jacques Leroux) à sa cousine (Pauline Bernasconi,20 ans). Une terrible explosion. tous deux sont tués sur le coup. Germaine est indemne. Assourdie par la déflagration, folle de douleur à la vue des deux corps gisant sur le sol, elle crie, hurle, sans comprendre ce qui est arrivé."

 Ensuite ce sont des tirs d'artillerie ou des balles qui tuent un peu au hasard puis ce seront les mines  et autres engins explosifs qui causeront des pertes jusqu'en  1945.

Comme partout en Normandie, les pertes de civils dans le secteur d'Omaha sont essentiellement liées aux bombardements, avec deux journées particulièrement meurtrières : le  6 juin et le 12 juin. Les destructions de bâtiments sont relativement peu importantes, en effet les belles villas du bord de mer avaient déjà été détruites ou démontées par les allemands avant le  6 juin. Sur les 820 habitants recensés avant la guerre sur les trois communes, 20  ont été tuées soit 2,5%, un taux inférieur aux grandes villes normandes bombardées.

  • Les bombardements aériens
Par contre, les bombardements aériens sur les villes bas-normandes dans les vingt-quatre heures qui ont suivi l'assaut allié ont provoqué des terribles ravages. Ils ont commencé dès l'aube, d'abord avec des objectifs limités : les ponts et les gares. Généralement, les pertes civiles restent modestes, sauf à Caen où, vers 13 heures 30, un bombardement mal ajusté contre les ponts de l'Orne dévaste tout le cœur de la cité, provoquant la mort de près de 500 personnes. 
Mais le plus terrible se produit dans la soirée du 6 juin et dans la nuit du 6 au 7, avec la mise en œuvre d'un plan de destruction méthodique des principales villes de la région afin de  détruire les principaux nœuds de communication. Entre 20 heures et 20 heures 30, un millier d'appareils de la 8e US Air Force ont reçu la mission de bombarder une dizaine de villes: Pont-l'Evêque, Lisieux, Falaise, Thury-Harcourt, Condé-sur-Noireau, Vire, Argentan, Saint-Lô, Coutances,  dans des conditions de visibilité médiocres.
Le 7 juin, dans la nuit, Caen  Lisieux, Argentan, Condé-sur-Noireau, Vire, Saint-Lô et Coutances reçoivent une nouvelle pluie de projectiles, qui tombent souvent sur les sauveteurs en train de dégager des ruines les victimes des avions américains.
Les Alliés avaient lancé au préalable des milliers de tracts pour avertir la population du danger et l'inciter à fuir sans retard avec une efficacité limitée (messages dispersés en campagne, non respect des consignes)
Les grands bombardements aériens des 6 et 7 juin restent les plus épouvantables par leur ampleur avec environ 2 000 morts). D'autres se produiront encore dans les jours suivants, plus loin.
Au total, les bombardements aériens sont responsables de plus de la moitié des pertes civiles de la bataille de Normandie.

  • Les autres causes
Les effets des combats terrestres qui durent trois mois pour libérer la Basse-Normandie, augmentent les pertes civiles surtout  là les combats sont intensifs : autour de Caen,  de Montebourg, sur la ligne La Haye-du-Puits/Saint-Lô ( "l'enfer des haies") .

Nombre de Bas-Normands ont également trouvé la mort sur les chemins de l'exode qui ont jeté sur les routes des dizaines de milliers des personnes et de familles fuyant les bombes et les obus, au hasard, ballottés par les combats. D'autres, plus nombreux, suivent des itinéraires établis à l'avance par l'administration de Vichy : . Pour la Manche, vers la Mayenne, pour  le Calvados, vers l'Orne. Comme l'aviation alliée mitraille et bombarde systématiquement les voies de communication, bien des civils périront ainsi.
Les massacres perpétrés par les Allemands (souvent les SS) ne doivent pas être oubliés.  Le 6 juin, , environ soixante-quinze patriotes sont ainsi froidement massacrés dans les courettes de promenade de la maison d'arrêt de Caen, de crainte de voir les Alliés les délivrer. Ces crimes vont durer pendant la  la Bataille de Normandie en faisant exécuter des dizaines de  résistants, de  Saint-Lô à Alençon, jusqu'à  Mortain et Appenai-sous-Bellême.
Mais les exécutions sommaires frappent aussi des civils dont le seul tort a été de ne pas obéir aux ordres ou d'avoir tenté de cacher déserteurs ou  pilotes abattus. Ainsi le 18 août, dix-huit habitants de Tourouvre sont massacrés par une unité de la division SS "Das Reich", qui s'était déjà illustrée de la manière que l'on sait à Tulle et Oradour-sur-Glane.
Bien des mois après la fin de la Bataille en Normandie, la mort continuera de frapper insidieusement ses habitants en raison de la présence  d'innombrables mines ou obus non explosés. Pour le Calvados,  plus de trois cents personnes tuées par un engin explosif entre l'automne 1944 et la fin de l'année 1945 dont de nombreux  enfants.


Les pertes civiles engendrées par la longue  Bataille de Normandie s'avèrent sensiblement inférieures à ce que l'on avait avancé ou écrit jusqu'alors. Elles restent néanmoins fort importantes et à coup sûr nettement plus élevées que dans la plupart des autres régions de France vite conquise  car la progression des Alliés est foudroyante. 
Dans une très large mesure, c'est la Normandie qui a payé le prix de la libération de la France et il fut particulièrement élevé.


Sources et compléments