Omaha et le débarquement du 6 Juin 944 sont uniques

Tout évènement historique est unique, une bataille, un débarquement, un bombardement... Isolés, ils n'ont pas de sens,  on oublie trop vite qu'ils se situent, tous, dans un long processus, à un moment et lieu précis, avec divers intervenants, avec moult causes, conséquences et interactions. Certains évènements tombent dans l'oubli, même si des historiens leur accordent une réelle importance, tels les nombreux "tournants de la guerre" et, à l'opposé, d'autres restent dans les mémoires et sont particulièrement honorés et commémorés, voire transcendés surtout par le cinéma et les médias.
C'est le cas du débarquement allié du 6 juin 1944 avec quelques sites devenus mythiques dont  la plage d'Omaha.

Omaha la sanglante : une plage à part.
Les évènements tragiques d'Omaha relèvent d'un scénario digne d'Hollywood, c'est aussi, pourquoi il  s'en est emparé : un défi qui vire  à la catastrophe, sur la mer et sur le sable, avec des larmes, du sang, des morts  avec l'arrivée de  "héros" et donc,  un retournement de situation qui mènera de courageux GI's à la victoire finale, et cela dans un décor terrifiant, une mer  houleuse, une plage bordée de défenses, une falaise à conquérir d'où l'ennemi mitraille à partir de ses bunkers.
Tout est là pour construire une "épopée" car il faut sortir d'un piège dans des conditions défavorables.
Et pourtant du site, il ne reste presque rien : il faudrait plonger dans la Manche  pour apercevoir quelques vestiges. Donc, il faut reconstruire ce passé médiatisé à outrance. De là,  des lieux mythifiés : un jardin cimetière émouvant situé dans un cadre  sauvage, une pointe du Hoc rénovée, embellie et sauvée par les américains, une plage mise en valeur par un monument symbolique  "Les Braves". Et tout autour,  des souvenirs,  cinq musées,  des statues, des dizaines de plaques et monuments commémoratifs, des drapeaux, des commémorations transformées  en festivités pour la plus grande joie des touristes, des reconstitueurs et de l'économie locale qui entend bien profiter de retombées économiques miraculeuses dans un Bessin sans autre activité que  l'agriculture et l' agro-alimentaire. Le tourisme de mémoire, en pleine croissance depuis 25 ans,  est une opportunité dont tout le monde veut profiter, quitte parfois  à faire de petits arrangements avec l'histoire pour n'en montrer que le côté flamboyant.

Omaha est unique.
Omaha  reflète,  en partie seulement, les autres débarquements 
mais déjà montre les prémisses des difficultés que rencontreront les américains pour avancer et affiche, déjà, les solutions qui seront utilisées pour vaincre.

Si l'échec des bombardements, du moins leur grande imprécision, est courante en  1944, leurs conséquences ont été dramatiques pour la Normandie avec des dégâts collatéraux immenses, morts de nombreux civils, destructions, exode. A Omaha leur imprécision a fait essentiellement des victimes parmi les vaches des prairies, les civils présents ont été relativement épargnés (2 morts à Vierville et 5 à l'arrière le  6 juin), de même, les bâtiments ont peu de destructions. Mais leur conséquence est dramatique pour les GI's qui débarquent fauchés par un un déluge de feu. 2000 morts et  de nombreux blessés au soir 6 juin à Omaha. Un cimetière construit hâtivement qu'il faudra vite déplacer.

Finalement, le prix de la réussite  à Omaha est lourd en pertes humaines mais elles demeurent celles qui avaient été prévues (12 à 13%) et sont "compensées" par des très faibles pertes ailleurs, en particulier sur Utah. Toutefois ce sont les plus fortes pertes du Jour J, environ 40% des pertes totales, aussi deviendra-t-elle une plage martyre surnommée "la Sanglante", un des éléments fondateurs du mythe.

Les premiers Gi's arrivés sur le plateau ont des premiers contacts difficiles avec les locaux, assez nombreux dans les villages et les fermes, ce qui les a surpris. En effet ils ne comptaient pas voir de français, et donc les considéraient comme des allemands, des "collabos", des traîtres,  ainsi le  6 juin, à Omaha,  les réactions et contacts entre français et américains sont terribles :
-"Il a pris son révolver et il a tiré croyant que j'étais une femme allemande ; heureusement que j'étais devant ma porte de chambre et que j'ai pu faire un écart sans quoi, il me tuait !"
-Il nous a demandé de boire, mais il a fallu que nous buvions avant lui parce qu'il avait peur, et il nous a donné une savonnette et du chocolat.
-Ils ont pris mon mari et ma belle mère en otage et voulaient les fusiller ! Ma belle mère a eu le réflexe de dire à mon mari de faire voir sa carte d'identité et de dire qu'il n'était pas un espion
-Les américains nous ont pris pour des allemands, et nous ont tiré de dessus, la balle a atterri dans la cuisine.
-Quand les américains nous ont vus, il fallait sortir de l'abri se ranger un à un le long du mur du jardin, puis, on a été fouillé, puis, on nous a relâché.
on était 30 sous un abri : il voulait nous tuer parce qu'il nous prenait pour des gens qui n'étaient pas des français.
-Ils croyaient qu'il y avait un sniper là, et ils avaient leur flingue mais c'est moi qui marchait devant, ça ne me faisait pas marrer, alors au début ça allait mais à la fin, plus on montait haut, plus c'était dangereux : ils ont ouvert la porte d'un coup de pied en mettant leur fusil sous mon bras ( moi, j'étais devant ! ) je tremblais ... je croyais que j'étais mort ... mai ils n'étaient pas là ! il n'y avait
personne !
[extraits de : http://6juin.omaha.free.fr/9normandsus/93_normands.php]

Ensuite, la méfiance disparaîtra très vite et  les relations devinrent très amicales, les américains généreux en cadeaux (cigarettes, chocolat, chewing-gum...), les français offrant du calva à volonté.

Trévières, le 14 juillet 1944 : Marguerite l’institutrice offre à boire aux Gi's


Omaha reflète aussi les difficultés futures  que rencontreront les américains : une résistance allemande tenace qui ne cède qu'au dernier moment ou faute de munitions. La très difficile conquête des villages nichés au milieu de champs, Saint Laurent et Colleville  ne seront définitivement nettoyés que le 7 juin dans la matinée, est à l'image de la future bataille des haies dans la Normandie profonde.
Si Omaha est finalement libérée, c'est aussi en raison de l'importance de l'afflux de matériel, d'armes  et d'hommes qui, sans cesse, se déversent sur la plage, encore une fois, à l'image de ce qui se passera  pour la difficile libération de la Normandie et de l'Europe de l'Ouest.

D'ailleurs le port -même après sa dislocation par la tempête- incanera l'efficacité de la  technologie  américaine, en effet  le trafic d'Omaha a toujours dépassé le trafic du port d'Arromanches, sans pourtant disposer de quais et jetées flottantes. Au total, les deux plages américaines ont réussi à débarquer en juin près de 300.000 T et plus de 450.000 Gi's. Chaque jour, à Omaha, en juillet et Aout, en moyenne, plus de 10.000 T sont transbordées, auxquelles s'ajoutent 10.000 hommes et 2000 véhicules.(à Arromanches seulement 6700 T). Un vaste dispositif est mis en place  pour gérer ce trafic de marchandises et d'hommes avec une  logistique remarquable. Encore une fois à l'image de ce qui se fera ensuite  à plus grande échelle. 


Omaha reflète un condensé réaliste du débarquement, plus difficile qu'ailleurs, et affiche, déjà,  ce qui va caractériser la  future libération de la France  : une résistance allemande acharnée,  une bataille des haies terrible, la  puissance de l'organisation américaine  et de son économie qui déverse hommes, matériel et ravitaillement pour faire avancer son armée. De plus, c'est une plage dont l'histoire ne  s'arrête pas le 6 juin au soir, cette plage va continuer de vivre  et connaître une importante activité durant tout l'été  1944
C'est une plage prémonitoire qui a vécu une grande et longue histoire. 



Le débarquement : un évènement militaire trop glorifié qui crée un mythe sans cesse réactualisé
Ce débarquement considéré comme réussi malgré l'étroitesse de la tête de pont représente l'évènement militaire de la seconde guerre mondiale le plus commémoré associé à  une grande victoire des démocraties alliées face  à la dictature nazie, de là, le mythe du D-Day. Certes, il s'agit d'un évènement militaire spécifique, incomparable et hors norme, mais dans une vision d'ensemble de cette deuxième guerre mondiale, l'image reflétée aujourd'hui est flatteuse, rappelons les principales omissions qui fâchent : le raté des bombardements (6 juin et bataille de Normandie), sous estimations et "maladresses" à Omaha, l'épreuve laborieuse de la  bataille de Normandie pour les militaires et les civils face  à l'avancée inéluctable des forces russes sur le front est, là où se situent le plus grand nombre  de soldats allemands.

Donc, contrairement à ce qu'on pense souvent et malgré l'énormité des moyens déployés - 5.000 navires, 10.000 avions, quelque 155.000 hommes -, l'assaut du 6 juin 1944 a bien failli échouer. C'est le hasard de la météorologie qui a le mieux servi les assaillants le 6 juin.  C'est bien la journée de tous les ratés comme l' a reconnu, plus tard, le général Eisenhower :"Tout ce qui était susceptible de rater a raté". C'est l'initiative et le courage  de quelques officiers qui ont sauvé la situation au moment crucial. C'est l'opération de désinformation la plus importante du siècle, menée par un groupe d'espions baroques, qui a  facilité le débarquement.  C'est aussi, lors des semaines qui suivirent le jour J, la bataille de Normandie qui fut l'une des plus dures de la guerre car les Alliés rencontrèrent des difficultés qu'ils avaient largement sous-estimées. 

Aujourd'hui les historiens  ont expliqué pourquoi ce débarquement s'est mythifié. Déjà, ce débarquement  était  annoncé et  préparé  par les alliés, attendu des allemands, espéré des français, la propagande et médiatisation totales sont les fondements du mythe.

Après la guerre, diverses actions ont enclenché le mythe afin de ne pas oublier ce débarquement: R Triboulet qui dés  1946 lance les commémorations et le tourisme (Musée d'Arromanches) ; la guerre froide réactive le mythe du 6 juin en permettant aux USA de rappeler leur supériorité (militaire, technologique...) qui a permis la victoire de la démocratie ; le fameux discours lyrique  de Reagan à la pointe du Hoc en 1984  qui montre que la guerre est au service de la paix à l'image des valeureux GI's, point de départ des grandes cérémonies commémoratives internationales ; l'impact auprès du grand public et des médias du cinéma d'Hollywood qui avec  deux films à succès rend ce mythe populaire et incontournable qui relance le tourisme de mémoire ; la France exploite ce mythe, en mettant en valeur son rôle comme acteur, et, comme grand organisateur de commémorations internationales auxquelles sont désormais associés allemands et russes. Ces commémorations devenant au fil du temps un enjeu politique car c'est l'occasion de transmettre au monde entier  des messages à connotation politique et surtout idéologique au travers de l'évocation du "sacrifice" de ces jeunes soldats.