Histoire d'un mythe



Ce mythe possède des racines profondes, nées dans l'imagination des militaires concepteurs du débarquement, embellies par des préparatifs grandioses, relayées par la radio et la presse et, surtout, entretenues et nourries par la propagande et la désinformation pour que ce débarquement devienne un espoir pour les français, une crainte pour les allemands, un succès pour les alliés.
Avant sa réalisation, l'évènement à venir, est donc déjà mythifié tant il est annoncé, préparé, attendu, médiatisé. Faut-il encore que son exécution soit à la hauteur des attentes.

La naissance de ce mythe est bien liée à un évènement unique et exceptionnel: le débarquement du 6 Juin 1944 avec une tragédie, surnommée "Omaha la sanglante". Ce qui s'est passé semble tellement extraordinaire, improbable et irrationnel : d'un côté, une armada invincible et surarmée qui vogue sur la mer pour délivrer des opprimés et leur apporter liberté et démocratie, de l'autre une armée usée mais impitoyable, dirigée par un dictateur nazi, à l'abri derrière un mur incomplet, enfin, à l'opposé, sur le front Est, une immense armée rouge qui désormais avance chaque jour un peu plus.

Ensuite, après la victoire, le mythe s'est endormi avec la guerre froide, mais c'était, aussi et surtout, une nécessité de laisser du temps au temps, d'effacer sur les plages et dans les villes détruites les traces de la guerre, de laisser s'apaiser les chocs psychologiques et les blessures occasionnées aux hommes, Gi's et normands, donc restaurer, construire et surtout se reconstruire. Aussi fallait-il offrir des sépultures décentes en construisant plus qu'un cimetière, un jardin, une promenade, une nécropole verte où l'on vient du monde entier se recueillir en un lieu unique.

Pour que le mythe se réveille et s'affirme, il a suffi que le cinéma hollywoodien avec ses superproductions s'en mêle pour enjoliver l'histoire transformée en épopée, glorifier les hommes devenus des héros, afficher la supériorité et puissance américaine, qui sauve le monde en apportant la liberté...

Ensuite l'automythification s'est réalisée naturellement au fil de l'histoire, au gré des relations internationales, avec les évolutions sociétales dont la montée en puissance du business du tourisme par la volonté des collectivités de profiter de cette manne providentielle. La mise en place de multiples supports a favorisé son essor : sites mis en valeur, multiplication de musées (le Mémorial de Caen en 1988 ), romans, oeuvres d'art ... et, surtout, de grandioses commémorations internationales accompagnées de manifestations privées et, désormais, de dérives qui ne respectent  plus rien.

Le temps a passé, aujourd'hui pour glorifier ces pages "historiques", certains préfèrent ignorer failles et erreurs pour faire briller une mise en scène parfaite, parfaitement exploitée au cinéma et transformer la réalité en légende, les hommes en héros qui après être descendus dans l'enfer resurgissent en vainqueurs idéalisés. Là, sont les clés du mythe, l'histoire se transforme en épopée, que de génération en génération, on pourra raconter sans oublier exploits exagérés et lieux mythiques (Pointe du Hoc, Sainte Mère, ports artificiels, cimetière...). De plus, on la transforme, comme sur les écrans, en une histoire simple à retenir (un débarquement réussi suivi de la libération), simple à transmettre avec une belle morale qui ne peut que renforcer les valeurs humaines, la cohésion sociale.

Seulement, le mythe doit laisser place à l'histoire, autrement dit à l'enquête qui ne doit rien ignorer pour nous renseigner avec objectivité et fournir des explications pour tous les évènements, quels qu'ils soient. Il faut donc tempérer les récits glorieux et les corriger, délaisser les clichés pour interpréter les évènements avec recul en donnant la stricte réalité des faits et des chiffres et, surtout, essayer d'expliciter ce qui est compliqué et confus, surtout sans rien oublier.